Zone blanche. Pas de réception pour les téléphones portables. Pas de vie non plus. Juste une grande baraque glacée et une campagne qui ne l'est pas moins. Que cherche à s'infliger Harry, lui qui n'a connu que la ville, en s'installant de son plein gré dans ce bout du monde inhospitalier ? L'oubli, bien sûr. Oublier le succès de son premier et unique roman publié des années auparavant. Oublier son incapacité à en écrire d'autres, à retrouver sa vérité première. Tandis que l'hiver recouvre de sa chape de neige et de silence la ferme dont Harry s'est porté acquéreur, différents évènements (traces de pas, hurlements de bêtes dans le lointain, objets qui disparaissent...) dont il ne sait s'ils sont le fruit de son imagination et de sa solitude ou bien réels, contribuent à faire naître une inquiétude. Tout paraît assez étrange en cette lointaine campagne. Tout et tous, notamment le voisin Caleb, guérisseur et sourcier, ou la trop discrète Sofia qui tient l'unique commerce du village le plus proche. Toutes ces solitudes étaient peut-être sans le savoir destinées à se rencontrer, ces secrets à s'échanger enfin.
Pour son précédent livre, Buveurs de vent (Albin Michel, 2020), Franck Bouysse avait obtenu le prix Giono. La lecture de son nouveau roman, L'homme peuplé, vient attester s'il en était besoin de combien cette récompense était juste. Car il y a bien du Giono dans ces pages, dans leur belle majesté, dans leur intransigeance orgueilleuse. Bouysse s'y affirme plus que jamais comme un créateur de mondes autant qu'un conteur hors pair. Sa fiction noire s'y tient à la lisière d'un certain fantastique et ce jeu avec les genres est toujours d'une remarquable fluidité, réinterprété par l'univers personnel puissant de l'auteur de Né d'aucune femme (La manufacture de livres, 2019, Grand prix des lectrices de Elle). Surtout, les personnages hors du commun qui traversent le récit s'incarnent à merveille au cœur de cet univers furieux, de ce pays absent à lui-même, de ce complot de colère dont ils portent témoignage. C'est comme si Franck Bouysse donnait par la plume sa vraie noblesse à cet absurde mot de « territoires » par lequel le langage administratif voudrait qualifier la province, l'espace rural. Alors, territoire oui, mais absolument, mais follement romanesque.
L'homme peuplé
Albin Michel
Tirage: 50 000 ex.
Prix: 21,90 € ; 320 p.
ISBN: 9782226465733