Franck Bondoux « La polémique peut jaillir à tout moment »
Le délégué général du Festival international de la bande dessinée d'Angoulême livre sa vision de l'événement et de son développement à la veille d'une 46e édition qui, après de multiples crises, s'annonce dans un climat apaisé, du 24 au 27 janvier._ propos recueillis par Anne-Laure Walter
Longtemps, le Festival international de la bande dessinée d'Angoulême (FIBD) a été marqué chaque année par son scandale : réforme des prix indignant les grands anciens du 9e art, dépôt sauvage de la marque du festival, absence de femme dans la sélection du grand prix, faux palmarès... La crise culmine en 2016 avec une menace de boycott de la part des éditeurs. Le ministère de la Culture est saisi, une médiation mise en place qui débouche sur la création de l'Association pour le développement de la BD à Angoulême (ADBDA) qui, présidée par Bruno Racine, réunit les associations d'éditeurs et d'auteurs, les collectivités locales, l'Etat et quelques institutions culturelles. Depuis, le climat s'est apaisé, et Franck Bondoux, délégué général du festival avec sa société 9e Art+, boucle la préparation de sa 46e édition qui s'ouvre le 24 janvier.
Franck Bondoux.- Photo OLIVIER DION
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Nulle polémique à la veille de cette 46e édition du FIBD. Pensez-vous que les crises soient désormais derrière vous ?
Franck Bondoux :La polémique est consubstantielle à un événement de la nature du FIBD, j'ai mis du temps à le comprendre, mais je pense que c'est sain. Dès lors qu'un événement est une référence pour un univers culturel donné - Cannes pour le cinéma, Avignon pour le théâtre, Angoulême pour la BD -, la polémique peut jaillir à tout moment. Le festival est le réceptacle des réussites et des échecs du secteur. Je vois comment des groupes constitués pour défendre des causes ou des intérêts sont toujours en embuscade pour exploiter la caisse de résonance de l'événement.
La mise en place de l'ADBDA, après la crise majeure de 2016, a-t-elle calmé les tensions ?
F. B. :Elle permet aux différentes parties de s'écouter et de se parler. Avant, c'était le festival qui avait ce rôle de médiateur. Au départ, il avait été imaginé que l'ADBDA prenne la gouvernance du festival. Avec l'association historique, nous nous y sommes vivement opposés, juridiquement même. La question centrale reste l'indépendance. Il y a eu dans la crise de 2016 une tendance lourde pour que le festival passe sous contrôle étatique. La menace s'est éloignée parce que nous sommes dans une forme de coopération, mais je ne suis pas certain que ces tiraillements ne reviendront pas à la moindre étincelle. Il reste toujours un doute sur le fait que le secteur privé, 9e Art+, ait une capacité à agir dans le sens de l'intérêt général. Or le festival a quelque part fait office, à certains moments, de ministère de la culture de la bande dessinée. Ceci étant dit, il faudra impérativement travailler secteur public et secteur privé main dans la main pour assurer l'avenir du Festival.
Beaucoup des critiques que vous essuyez concernent votre sélection pour les prix, jugée élitiste et pas assez représentative de la diversité du marché.
F. B. : Le festival a accompagné la transition vers « la nouvelle bande dessinée », avec une déstructuration de l'album traditionnel et l'émergence du roman graphique. J'ai vécu des années de grande résistance au fait que le festival encourage, par ses prix ou sa programmation, l'évolution du genre. Le débat sera éternel : est-ce que les prix doivent porter la création ou est-ce qu'ils mettent en avant des livres qui s'adressent à tous les publics et donc représentent des ventes. C'est une ambivalence qu'on retrouve au Festival de Cannes.
Suite au départ de votre partenaire, Cultura, vous allez perdre cette année une dimension dans votre palmarès avec la suppression du prix du Public. Que s'est-il passé ?
F. B. :Nous redéploierons ce prix l'an prochain quoi qu'il arrive. Cette année, nous avons été pris de court. Après deux renouvellements de contrat de partenariat, Cultura a décidé d'arrêter. J'ai du mal à comprendre cette décision compte tenu des montants, qui ne sont pas considérables pour une telle enseigne. Je n'ai pas non plus compris pourquoi la Fnac nous avait abandonnés en 2012. Surtout pour remettre un prix BD Fnac le 16 janvier, au moment où le festival offre une surface médiatique au genre. Dans un temps où ces enseignes ont à défendre leur identité culturelle vis-à-vis de concurrents féroces venus du Web, je suis surpris.
C'est compliqué pour un festival comme le vôtre de se passer d'un partenariat avec une grande surface culturelle qui relaie votre sélection et vos prix dans toute la France. Qu'allez-vous faire ?
F. B. : Beaucoup de questions restent en suspens : Que se passerait-il si le festival allait vers Amazon ? Michel-Edouard Leclerc [partenaire pendant dix-sept ans, remplacé par la Fnac en 2007, NDLR] voudra-t-il revenir ? Je vais essayer de discuter avec les différentes enseignes, y compris spécialisées. Si un événement comme celui-là ne noue pas de partenariat avec des GSC, qui tirent un bénéfice direct du partenariat puisqu'elles vendent des albums, c'est incompréhensible, surtout qu'il existe des potentiels. Nous travaillons très bien avec Raja ou la MGEN qui n'ont pas un intérêt aussi direct dans ce secteur.
Quel est votre projet pour le festival, dont vous êtes l'organisateur jusqu'en 2027 ?
F. B. : Nous sommes en pleine réflexion car nous sommes arrivés à un point de basculement. En 2019, nous développons le B-to-B, qui doit devenir l'un de nos piliers. A Angoulême, éditeurs et libraires se voient, c'est un point de rendez-vous pour l'interprofession, un carrefour international. Avec le concours du CNL et de la Région, nous doublons la surface du Marché des droits. Plus profondément, l'événement doit changer de paradigme. Il l'a déjà fait en passant du petit festival initié dans la passion, avec une forme d'insouciance, à un événement de référence, avec une responsabilité vis-à-vis de l'ensemble de la profession. Il doit encore se transformer avec l'avènement des réseaux sociaux et l'apparition de nouveaux modes de consommation des contenus culturels. Déjà, les principaux éditeurs se définissent non plus comme des éditeurs mais comme des producteurs de contenus. La BD est à la confluence d'autres univers : le livre, l'animation, le cinéma, le jeu vidéo, les produits dérivés... Les Millenials trouvent naturel de consommer cela ensemble. Cette évolution des comportements commande au festival de s'inscrire dans une combinaison du réel et du virtuel, qui implique une dimension participative plus importante.
Cette forme est-elle à inventer totalement ou êtes-vous inspiré par des modèles ?
F. B. : Dans un tout autre univers, quand je rentre dans le stade du Barça, qui a Rakuten pour partenaire, je reçois en push des offres comme la possibilité de voir le replay sur mon smartphone, j'aurais eu avant de rentrer l'état de la préparation de l'équipe, sa composition, une petite vidéo de Messi avec des enfants... Je m'immerge dans l'univers du Barça en amont. Et quand je m'installe dans le Camp Nou, le virtuel rejoint le réel, et je peux même commander une consommation depuis mon siège !
Comment cela se traduit-il pour un festival ?
F. B. : L'expérience pour le festivalier ne peut se limiter à un temps donné dans un lieu donné. Cela se passe avant, pendant et après. De plus, l'enjeu est d'entrer dans des univers de création multipolaire, tout en conservant une identité culturelle forte. Lucca, le festival qui a été le modèle de création d'Angoulême, a pris une autre stratégie de développement et accueille Game of Thrones ou Netflix. Il s'assied beaucoup plus sur une fan base, et s'il a conservé des expositions de BD, elles ne produisent plus de discours sur les œuvres présentées. Ce festival a perdu son ambition originelle. En même temps, je ne peux pas m'empêcher de voir que ça marche, les gens sont heureux, le public est jeune. Ça ne peut que nous interpeller.
Vous pourriez évoluer vers un modèle de convention ?
F. B. :Il reste en France une tradition de l'événement livre, qui se porte bien. Est-ce que nous préserverons l'attachement au livre en restant monomaniaque ? Cette année, le festival accueille une exposition Batman, ce qui aurait été sans doute inenvisageable il y a dix ans. Bien sûr, on ne va pas faire « Batmanland » à Angoulême. Nous mettons en avant les créateurs d'un personnage de pop culture et nous mettons en contexte la dimension artistique qui s'y rattache. Nous continuons les expérimentations. W
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Par
Charles Knappek
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