Quand Jacques a dit. C'est un pauvre gars, une manière d'ogre, un type touchant et un mal parti. Il s'appelle Jacques. Disons par périphrase qu'il « fait des affaires ». Considérons aussi qu'entre vérités et mensonges, exaltation et dettes, il croit tisser sa toile sans coup férir, mais file en fait un mauvais coton. C'est une jeune fille, un peu craintive, parfois insolente. Une jeune fille des années 1980 qui grandit et s'exaspère au Havre, entre flirts, gin tonic et vagues rêveries. Elle s'appelle Anna, elle vit avec sa mère et sa sœur Irène. Sa vie, somme toute assez sage, n'est guère bousculée que par les visites que lui rend son beau-père, qui le reste de l'année vit à Abidjan (un temps, la famille y fut réunie, mais la mère et les enfants ne s'y plurent guère et repartirent en France aussi vite qu'elles purent). Ce beau-père, toujours un peu plus grand que la vie, entre pathétique et réorchestration du quotidien en un spectacle improbable, elle en craint la venue, les foucades, les excès, en même temps qu'elle ne peut s'empêcher peut-être de l'espérer. Ce beau-père, cet homme exagéré, c'est lui, c'est Jacques, ce « perdant magnifique » qui donne son titre au septième roman de Florence Seyvos.
On sait depuis Les apparitions et surtout son chef-d'œuvre, Le garçon incassable (L'Olivier, 1995 et 2013), combien la romancière s'y entend pour camper des personnages magnifiquement incarnés, tout en instillant dans sa narration un malaise, une angoisse, un vertige, qui ne vont aller que grandissant tout au long des pages. Ce Perdant magnifique, auquel on devine de forts accents autobiographiques, ne fait pas exception à cette règle, tout comme il rappelle le talent particulier de Florence Seyvos pour dépeindre des décors à la fois familiers et étranges. Ici, Le Havre, Abidjan, Rome ou la Côte d'Azur finissent par se ressembler un peu... Jacques finira bien par ne plus pouvoir faire tapis, Anna par laisser filer sa jeunesse. Florence Seyvos observe leurs insomnies et leurs solitudes avec une infinie tendresse, une infinie compassion.
Un perdant magnifique
Éditions de l'Olivier
Tirage: 4 500 ex.
Prix: 19,50 € ; 144 p.
ISBN: 9782823619553