D’aucuns parlent de lui comme du « carrefour international du 9ᵉ art ». Et à raison. Situé rue des Lumières à Angoulême, le Marché international des droits (MID) s’anime au chant de sonorités plurielles, des accents ibériques aux intonations orientales. Cette année, cet épicentre des négociations des ventes et achats de droits accueille, du mercredi 29 janvier au samedi 1ᵉʳ février, une centaine de structures, dont une trentaine de pays. Un important échantillon qui permet aux représentants de la BD francophone d’affirmer le rayonnement international du genre, après une année plutôt morose.
« Il est certain que c’est devenu un rendez-vous incontournable », confirme Sylvain Coissard, fondateur de l’agence du même nom. « Aujourd’hui, pour la bande dessinée, il y a Francfort et Angoulême », poursuit celui qui représente une importante palette de maisons, de Gallimard BD à Denoël Graphic en passant par Sarbacane et les Éditions 2042 (ex-Éditions 2024).
Des échanges privilégiés
Un constat partagé par l’ensemble des représentants français, qui parlent également de « temps fort », avec des rencontres et des échanges parfois inédits, souvent sans discontinuer. « On y retrouve un public hispanophone avec lequel on fonctionne déjà beaucoup, mais on peut aussi y rencontrer des éditeurs américains ultra-spécialisés, qui d’ordinaire ne se déplacent jamais sur les grandes foires », illustre Julia Balcells Roca, chargée des droits aux éditions Glénat.
« L’avantage d’Angoulême, c’est que la programmation des éditeurs étrangers invités est concertée en amont avec les représentants français », reprend Sylvain Coissard. Et pour cause : organisé en partenariat avec le Bureau international de l’édition française (Bief), l’événement prend en considération les envies et les besoins des éditeurs tricolores pour choisir la quinzaine d’éditeurs étrangers conviés.
Chacun sa chance
« Cela nous permet d’avoir des échanges plus confidentiels avec les éditeurs étrangers et de se consacrer uniquement à la bande dessinée », abonde Arthur Derrouaz, chargé des cessions de droits du groupe Steinkis. L’éditeur profite de cette proximité pour mettre en avant des titres qui ne se sont pas encore tout à fait imposés, ou des ouvrages engagés voire militants, qui font l’ADN du catalogue.
« Les rendez-vous n’ont pas la même tonalité qu’à Francfort ou à Bologne. Ici, il y a de plus petites maisons étrangères qui, si elles n’étaient pas conviées, ne pourraient jamais faire le déplacement », explique également Daniela Bonerba, gérante de l’agence éponyme, qui défend de plus petites structures à l’instar des éditions Lapin, Motus, ou encore L’Atelier du poisson soluble.
Pour certains éditeurs, c’est même l’occasion de soumettre des titres qui peinent à concentrer l’attention ailleurs. « Nous n’avons pas les mêmes rendez-vous, ici les éditeurs invités sont bien plus intéressés par la création en elle-même », partage Aurélie Lapautre, chargée des droits pour Albin Michel, qui porte des titres comme Deux filles nues de Luz, déjà vendu dans quatre langues, ou des adaptations à l’instar de Barbe bleue d’Amélie Nothomb et Tout le bleu du ciel de Mélissa Da Costa.
Une production française hautement adaptable
Outre l’agrandissement matériel du site, qui a d’ailleurs poussé les murs pour accueillir en grande pompe son invité d’honneur, l’Espagne, les éditeurs remarquent également l’engouement croissant d’un public de professionnels venus de l’audiovisuel.
« Chaque année, il y a de plus en plus de producteurs présents pour l’événement Shoot the Book !, qu’ils ont identifié comme un moment incontournable », acquiesce Julia Balcells Roca, de Glénat, qui identifie la volonté, chez ces professionnels, de trouver des univers qui ont déjà leur public. Comme l’année dernière, l’enthousiasme pour la production éditoriale française s’est de nouveau confirmé lors l’événement dédié à l’audiovisuel : neuf titres sur dix de la sélection ont tous paru dans une maison de l’Hexagone.
Une attractivité internationale qui se confirme surtout côté éditorial puisqu’en 2023, la bande dessinée a représenté 30,9% des cessions totales de l’édition tricolore avec 3 852 titres cédés contre 3 763 en 2022, d’après les chiffres du Syndicat national de l’édition (SNE). La promesse d’un triomphe en 2024 ? Rien n’est moins sûr. C’est donc aussi pour contrebalancer le déficit d’une année économiquement instable que les professionnels français présents au MID redoublent d’efforts et de convictions. Histoire de « relancer la machine ».