La traditionnelle "parenthèse enchantée" du mois de décembre est attendue avec d'autant plus d'impatience par les libraires qu'elle a été précédée par des mois difficiles. Or la fin de l'année 2012 pourrait bien confirmer les espoirs. Contre toute attente, le livre imprimé est repassé en tête des intentions d'achat pour Noël en France, alors qu'il ne se situait qu'en 10e position à la veille des fêtes de fin d'année en 2011, d'après l'étude annuelle du cabinet Deloitte publiée le 8 novembre dernier. Cette tendance n'est pas une exception française : le livre prend la première place dans 14 des 18 pays européens sondés. C'est également le 2e cadeau le plus souhaité par les Français, après l'argent, et le 2e cadeau que les enfants déballeront le 25 décembre, alors qu'il n'était que 6e l'an dernier. Les adolescents n'y échapperont pas puisque le livre sera le 3e présent qui leur sera offert, alors qu'il arrivait en 5e position en 2011.
Mais en tant que cadeau, le livre n'est pas seulement prisé pendant les fêtes de fin d'année. Il marque la fête des Mères et celle des Pères, Pâques ou encore la Saint-Valentin, et, au-delà, il est offert toute l'année. Comment expliquer ce retour de faveur du bon vieux livre papier, pourtant concurrencé par les ouvrages numériques, dans les célébrations sociales ?
Atouts
Ses atouts sont de taille, particulièrement en période de fêtes, durant laquelle les gens sont à la recherche de produits facilement personnalisables. "Il y a une réflexion sur l'achat : les personnes sont très attentives à cibler un objet qui va plaire. Ce n'est pas anodin", observe une libraire de La Boîte à livres, à Tours. "Le livre est un objet qu'on peut s'approprier", renchérit le directeur de la librairie Sauramps, à Montpellier, Alain Panaget. Surtout, son prix moyen est peu élevé, un argument de poids en période de crise. "Les gens offrent beaucoup plus qu'avant. Ils viennent en librairie pour offrir des livres qui ne coûtent pas trop cher", constate Joël Hafkin, le directeur de La Boîte à livres. D'ailleurs, a contrario, l'achat de tablettes numériques reste limité par leur prix élevé : si elles sont désirées par 19 % des consommateurs (contre 14 % en 2011), seules 4 % des personnes interrogées dans le cadre de l'étude 2012 de Deloitte pensent en offrir à Noël.
Si le livre apparaît comme une valeur sûre, les libraires doivent tout de même faire face à la concurrence, particulièrement rude au moment de Noël, de la vente en ligne. Pas moins de 41 % des sondés par le cabinet Deloitte affirment qu'ils achèteront pour Noël des livres sur Internet, attirés par la possibilité de connaître les avis des autres consommateurs, de comparer les prix et de pouvoir faire des achats à n'importe quel moment, ce dernier atout permettant d'éviter l'effervescence des magasins à l'approche des fêtes.
Les libraires l'ont ainsi bien compris : il s'agit pour eux de se démarquer en proposant aux clients des services qu'ils ne trouveront pas sur le Web. Les initiatives sont nombreuses pour inciter les clients à faire du livre le présent par excellence. Premier levier stratégique : le papier cadeau. La majorité des libraires en propose gratuitement toute l'année. L'emballage n'a rien d'accessoire : il fait souvent l'objet d'un service à part entière, facteur de fidélisation du client. "C'est fondamental, explique Alain Panaget chez Sauramps. Le papier cadeau fait partie du service, au même titre que le conseil au client ou la qualité de l'encaissement. C'est une valeur ajoutée." Dans la librairie montpelliéraine, 80 % des achats sont accompagnés d'une demande de papier cadeau. Sauramps consacre d'ailleurs un vrai budget à l'emballage dans la période des fêtes de fin d'année, et pas seulement pour le papier : la librairie embauche chaque mois de décembre plus de dix personnes exclusivement chargées d'emballer les livres. Le directeur du magasin prend ce service très au sérieux : pas question de le déléguer à des associations caritatives.
Un papier spécial
Ce service est aussi "un plus", pour Valérie Le Louarn, à la libraire du Renard, à Paimpol, qui consacre 1 800 euros à l'emballage, rien que pour la période de Noël. Elle et son mari, Benoît, font imprimer le papier spécialement pour leur librairie. "Nous changeons de couleur de papier tout au long de l'année", expliquent-ils. Kraft verni, revers en biais, plis travaillé : rien n'est laissé au hasard. Cette attention particulière à l'emballage compte pour les clients. "Quand on n'a plus de papier cadeau et qu'on leur propose une pochette cadeau, ils n'en veulent pas !" souligne Valérie Le Louarn. La librairie Honoré, à Champigny-sur-Marne (94), propose un papier plus qualitatif spécialement pour les fêtes de fin d'année. De même à La Boîte à livres, à Tours, où les dépenses annuelles pour le papier cadeau s'élèvent à 15 000 euros. "Les clients viennent aussi pour des services qu'ils n'ont pas ailleurs, par exemple en grandes surfaces", considère Joël Hafkin.
Car les libraires cherchent à se distinguer non seulement de la vente en ligne, mais aussi des chaînes de librairies, qui ne proposent pas toujours l'emballage des livres. Chez Cultura ou à la Fnac, le client peut emporter quelques pochettes cadeau gratuitement, ou acheter du papier en boutique. La Fnac met aussi à sa disposition des rouleaux de papier durant les fêtes. Mais ce sont des associations caritatives qui, moyennant un don, proposent de faire les paquets, et non les libraires. Du coup, "le budget cadeau, sur l'année, n'est pas important", admet Eric Lafraise, chef de produit littérature chez Cultura.
Pour inciter les clients à faire du livre le cadeau idéal, d'autres stratégies sont déployées par les libraires, comme celle de proposer des coffrets personnalisés. Chez Lucioles, à Vienne, on propose des étuis "Rouge papille" contenants des quiz ou des petits textes sur un thème (bande dessinée, poésie, théâtre, voyage...), accompagnés de carrés de chocolat. Dans un tout autre registre, le Furet du Nord, à Lille, présente toute l'année des huiles essentielles Herbes et tradition dans son rayon aromathérapie. "Nous avons une demande des clients pour des produits qui accompagnent les ouvrages bien-être", justifie Murielle Donnet-Laborderie.
Des coffrets maison
Cette dimension ludique est aussi travaillée à la librairie Aux livres, etc., à Paris (10e), qui confectionne depuis 2010 ses propres coffrets de Noël en associant trois titres (romans, essais ou classiques) par thèmes (Paris, la photographie, le bonheur, l'art, la guerre de 14-18...), le tout emballé dans un carton kraft aux couleurs de la librairie. Cette année, son cofondateur Laurent Béranger en a fabriqué une quinzaine. "Cela permet d'éviter de présenter en librairie seulement des livres de fête : nous avons une offre plus large", explique-t-il. La gamme de prix est elle aussi plus diverse, avec deux formats de coffrets différents. Ce système permet aussi au libraire d'écouler des ouvrages de fonds, tout en se singularisant. "Nous mettons en avant des livres peu connus, c'est-à-dire publiés par de petits éditeurs, ou des ouvrages originaux", explique Laurent Béranger. Le client a même la possibilité de composer un coffret avec les livres de son choix, un jeu qui peut séduire les clients à la recherche d'un cadeau à la fois conceptuel et personnel.
Pour se démarquer, beaucoup soignent aussi, bien sûr, leur vitrine. "Nous trouvions les librairies de la ville un peu tristes, se souviennent les propriétaires de la librairie du Renard, à Paimpol, Benoît et Valérie Le Louarn. Mais nous voulions faire autre chose que de la promotion." En 2006, ils décident de réaliser eux-mêmes une vitrine animée, dans laquelle il n'y a aucun livre. "Les gens attendent chaque année la nouvelle vitrine, ça crée de l'accoutumance. Les voitures s'arrêtent devant", se réjouissent-ils. Le reste de l'année, ils aménagent, chaque mois, des vitrines thématiques mettant en valeur des livres. Pour Valérie Le Louarn, leurs vitrines, devenues de véritables attractions, dopent les ventes : "Nous faisons 800 000 euros de chiffre d'affaires, ce qui est important pour une librairie située dans une ville de 8 000 habitants."
La mise en avant de livres traditionnellement prisés pour les fêtes est aussi un enjeu de taille : les beaux livres, les prix littéraires et surtout les meilleures ventes sont souvent regroupés sur des tables à part. Sauramps met en place à chaque fin d'année deux tables réservées aux sélections des libraires. Un espace est notamment disposé à l'entrée du magasin, avec une ou plusieurs sélections accompagnées de fiches bibliographiques et de brochures spécialisées.
Toute l'année, les caisses sont entourées de mobilier "pour achat d'impulsion", avec des ouvrages ni trop épais, ni trop grands, ni trop chers. Le titre doit être attractif et la quatrième de couverture engageante, mais pas trop complexe, détaille Alain Panaget, le directeur de Sauramps.
Les chaînes suivent la même logique de marchandisage. Dans les magasins Cultura, plusieurs tables sont réservées aux idées-cadeaux, aussi bien des nouveautés que des ouvrages du fonds. A la Fnac, des "podiums", situés dans les zones de passage des clients, au milieu du magasin, accueillent les livres mis en avant dans le catalogue de Noël de l'enseigne.
Les coups de coeur
Le rôle de conseil des libraires répond à la même logique d'orientation du client. "Beaucoup de personnes ne viennent qu'une fois par an, pour offrir : elles ont besoin de conseil", remarque Sophie Duquesnes, à la librairie Honoré, à Champigny-sur-Marne. C'est pourquoi l'établissement affiche chaque année une liste d'une cinquantaine de titres choisis par les trois libraires, pour tous les âges et tous les goûts. La Boîte à livres édite un catalogue de titres choisis par une quinzaine de libraires, et met en place des bandeaux "coup de coeur du libraire". Particulièrement impliqués pendant les périodes de fêtes pour aider les clients à choisir leurs cadeaux, les libraires sont nombreux à se dire optimistes pour décembre. Mais beaucoup attendent de voir si la valeur marchande des livres offerts à Noël sera importante.