Avant-critique Récits

Fernanda Melchor, "Ici, c'est pas Miami" (Grasset)

Fernanda Melchor - Photo © Jean-Francois PAGA/Opale via Leemage

Fernanda Melchor, "Ici, c'est pas Miami" (Grasset)

Originaire de Veracruz, Fernanda Melchor a puisé dans sa ville la matière de ses deux premiers romans et de ce recueil de chroniques. Une matière imprégnée par la violence du narcotrafic.

Parution 7 mai

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Par Laëtitia Favro
Créé le 20.05.2025 à 14h00

Veracruz, ville ouverte. Naître, grandir et vivre dans une ville, c'est être façonné par les histoires qui la composent. A fortiori dans une ville portuaire dont les légendes locales se mêlent aux récits de ceux qui débarquent sur ses quais. Mais malgré la rumeur qui l'anime jour et nuit, la ville reste muette : « Elle ne peut pas se raconter à elle-même, elle ne peut rien raconter du tout. » Née à Veracruz au Mexique à l'aube des années 1980, l'écrivaine et journaliste Fernanda Melchor a puisé dans sa ville la matière de ses deux excellents premiers romans, La saison des ouragans et Paradaïze (Grasset, 2019, 2022). Elle lui prête sa voix dans ce recueil de chroniques mêlant souvenirs d'enfance, récits de faits divers et de crimes abominables.

Ouvrant le livre, le texte « Lumières dans le ciel » donne le ton. Lors d'une soirée autour d'un feu de camp, la narratrice et son frère aperçoivent « cinq lumières brillantes » émerger « depuis le fond de la mer » avant « de prendre la fuite vers l'intérieur des terres ». Persuadés d'avoir vu un ovni, ils apprendront qu'ils ont été survolés par un avion de narcotrafiquants, utilisé pour acheminer leur marchandise. Dans « Ici, c'est pas Miami », un clandestin dominicain au visage marbré de cicatrices cherche à rallier New York pour retrouver ceux qui ont massacré ses parents. « Reine, esclave ou femme » revient quant à lui sur l'histoire tragique d'Evangelina Tejera Bosada, ancienne reine de beauté qui, en 1989, « dans un élan de folie incontrôlé », tue et démembre ses deux enfants « pour les enterrer dans un grand pot de fleurs dont elle a ensuite paré le balcon de son appartement ». Refusant de s'en tenir à la version officielle, Fernanda Melchor enquête, recueille la parole de ceux qui ont connu Evangelina. L'un d'eux pointe la responsabilité des « caïds de la "dernière lettre", comme on dit, des membres du groupe Zeta », plus dangereux cartel du Mexique.

Partant des faits et des fantômes qui les tourmentent, Fernanda Melchor tisse des récits alimentant une mémoire collective elle-même hantée par la violence. À travers ses mots, on comprend comment une ville et la vie de ceux qui l'habitent sont irrémédiablement bouleversées par le trafic de drogue et le cortège de malheurs qui l'accompagne − une réalité lointaine en apparence, dont l'onde de choc déferle jusque dans notre actualité, à l'heure du vote à l'Assemblée nationale de la loi sur le narcotrafic. Rédigés entre 2002 et 2011, ces passionnants textes s'inscrivent dans la grande tradition du journalisme littéraire à la Truman Capote, Gay Talese, Joan Didion ou Janet Malcolm, et lèvent un pan du voile de la complexité de l'âme humaine.

Fernanda Melchor
Ici, c'est pas Miami
Grasset
Traduit de l’espagnol (Mexique) par Laura Alcoba
Tirage: 2 800 ex.
Prix: 21,50 € ; 240 p.
ISBN: 9782246838982

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