Ici, il s’appelle Fernand Legras. Fernand Legros, le héros bien réel du nouveau roman de Louis Sanders - le premier dans la collection «Seuil policiers » - portait des lunettes de soleil opaques, un long manteau à poils noirs en peau de gorille, un chapeau à large bord et, autour du cou, des colifichets de chez Cartier. Grand fumeur de Kool mentholées et buveur invétéré de Chivas, M. Fernand était un fameux marchand d’art qui eut maille à partir avec la justice.
Cet excentrique a laissé des Mémoires, Fausses histoires d’un faux marchand de tableaux (Albin Michel, 1979), et fut le sujet des Tableaux de chasse ou La vie extraordinaire de Fernand Legros de Roger Peyrefitte (Albin Michel, 1975). L’auteur de Comme des hommes (Rivages-Noir, 2000) et de La lecture du feu (Rivages-Noir, 2011) a choisi, lui, de jongler avec la réalité et les faits. De faire mourir Legros/Legras non en 1983 en Charente, mais au cœur de l’hiver 1979 derrière les Champs-Elysées.
Avant ça, Louis Sanders nous ramène au moment où M. Fernand attend la tenue de son procès. Il habite alors un hôtel miteux derrière la place des Ternes avec son amant, Karl, Allemand d’un mètre quatre-vingt-douze qui fait office de garde du corps et de chauffeur de sa Rolls Royce Silver Shadow « un peu abîmée, pas trop ».
Qu’elle semble loin l’époque de son enfance à Alexandrie. De ses voyages au Brésil, en Chine ou encore à Hollywood, lorsqu’il avait Judy Garland à son bras ou dansait avec Marilyn à une soirée. Fernand dit être paresseux et ne pas aimer travailler. Il passe ses nuits au Favori, boîte de nuit fréquentée par la mafia corse, où il danse « sans transpirer avec des pas maîtrisés ». Dans la journée et dans la soirée, il rend volontiers visite à la petite bande qui loge au 11, boulevard de Clichy, au cœur d’un Pigalle peuplé de drogués, de dealers, de maquereaux et de tapineuses. Il y a là Pierre Kowalski, peintre grincheux, et sa femme Irène, qui enseigne le français au lycée Jules-Ferry et écrit des romans ; Lydie, une baronne décatie et son fils, André, tout aussi drogué qu’elle ; l’Américain Jimmy Fallon, sa femme Annie qui se prostituait jadis, et leur fils Fredo qui rêve de faire carrière dans la chanson.
Tous reçoivent volontiers chez eux un personnage colérique capable de les injurier, de jeter son verre contre le mur, tant il ne respecte rien ni personne… Très habile dans sa manière de recréer une époque et ses protagonistes, Louis Sanders met également en scène l’épatant commissaire Cabriac, policier au crane rasé et au bronzage permanent, passionné par l’art égyptien depuis sa découverte des Cigares du pharaon ! Vraie réussite, La chute de M. Fernand emballe par son humour noir, son casting plus vrai que nature. Sa manière grinçante d’orchestrer une comédie humaine au grotesque implacable.
Alexandre Fillon