Des égéries des sixties à Vince Taylor en passant par Claudine Longet ou Bobby Beausoleil, voilà de nombreuses années et quelques livres (sans compter de nombreux articles) que le journaliste et écrivain Fabrice Gaignault égrène sa carte du tendre des étoiles noires et éteintes d'un passé qui ne passe pas. Un temps où le champ des possibles semblait ouvert à tous, à tous les plaisirs autant qu'à toutes les chutes. Appelons cela les années 1960, 1970 et tenons pour acquise la cristallisation de celles-ci en un paradis prétendument perdu.
Pour la première fois, avec ce nouveau livre, La vie la plus douce, cet éternel dandy de nos lettres se rapproche au plus près de sa vérité propre, celle de son enfance et de sa jeunesse, de sa famille ; celle de son écriture également. Ce serait donc l'histoire d'Adrien, un jeune homme de son temps. Si la liberté alors n'était pas un vain mot, elle l'était d'abord pour les parents de ces enfants, rattrapés trop vite par l'adolescence. Le père d'Adrien, homme d'affaires accompli et adoré par son fils, est un noceur invétéré dont le charme lui octroie faveurs et conquêtes (et parmi bien d'autres, par une nuit londonienne, celle d'Ava Gardner...). La mère, initialement tout aussi éprise d'insolence et d'émancipation, va d'une maison de repos l'autre depuis la mort en bas âge de son troisième enfant. Le reste du temps, elle dilue sa tristesse dans un grand appartement rue de Babylone à Paris en compagnie de quelques zèbres d'époque, simili-artistes, révolutionnaires maoïstes de pacotille et autres mauvaises compagnies. Adrien a aussi un grand frère qu'il surnomme « le Démon » et qui le fascine autant qu'il le craint. Il passe sa scolarité dans une pension (qui rime avec prison) religieuse d'une invraisemblable sévérité où le châtiment corporel tient lieu de pédagogie. Voilà pourquoi, comme un jeune héros de Modiano, Adrien est un enfant triste que n'égaient que ses séjours estivaux à Saint-Tropez où, influencé sans doute par l'ambiance libertaire qui y règne, il révélera précocement un goût très sûr pour les plaisirs de la chair. Et notamment avec une jeune et initiatrice Candice, fille, hélas, d'un producteur de films pornographiques autant que marchand d'armes...
Il y a beaucoup d'autres choses, beaucoup d'autres figures singulières dans ce très beau La vie la plus douce. Fabrice Gaignault s'y dépeint- car Adrien c'est lui, bien sûr- en rêveur d'horizons, en passant nostalgique, en jouisseur un peu triste. Ce qui est par ailleurs une définition possible du métier d'écrivain.
La vie plus douce
Grasset
Tirage: 5 000 ex.
Prix: 22 € ; 320 p.
ISBN: 9782246859185