Grand prix de la Ville d’Angoulême 2013, et à ce titre président du jury 2014, exposé en majesté au prochain Festival international de la BD fin janvier, Willem se caractérise par un regard sans concession et totalement désinhibé sur le monde. Il a la langue puissante comme un direct du gauche, le trait vif comme une flèche, dessinant une ligne trash dont on a un peu oublié aujourd’hui, où elle s’épanouit au rythme d’un dessin satirique quotidien dans Libération, qu’elle s’est d’abord aiguisée sous la forme de bandes dessinées, dans l’après-Mai 68.
Traquenards & mélodrames rassemble l’essentiel d’entre elles, soit 60 séquences d’une page à une douzaine de pages, généralement en noir et blanc mais parfois en couleurs, qui témoignent de la verve et de l’inventivité du dessinateur néerlandais désormais âgé de 72 ans. Elles ont été publiées entre 1968 et 1983 dans Hara-kiri, Charlie Mensuel ou Charlie Hebdo, alors que Willem, ancien de la mouvance provo au milieu des années 1960, a choisi l’exil à Paris après sa condamnation pour une représentation de la reine des Pays-Bas en prostituée. Egalement éditées aux éditions du Square, aux Humanoïdes associés ou chez Futuropolis, elles conservent, plus de trente ans plus tard, une étonnante fraîcheur. C’est que Willem est un dessinateur sans états d’âme. Joyeusement blasphématoire, il n’hésite pas à appeler un chat un chat, ou plutôt un abruti un con. Il ose et assume, y compris ses délicieuses fautes de français qui contribuent au charme de ses nouvelles graphiques. Plus ou moins délibérées, elles donnent à entendre, au travers des phylactères dans lesquels s’expriment « Béa la championne de nager » ou le sergent Buster qui « fait son boulot dans la campagne vietnamoise », son accent néerlandais. Elles apportent une touche de légèreté à une œuvre qui ébranle en profondeur société et politique en remettant en question tous les rapports sociaux.
Que raconter ? L’histoire du roi qui s’ennuie tant avec ses sujets béni-oui-oui qu’il tente vainement de les inciter à la révolution ? Celles du commissaire impuissant, du complot communiste à Hollywood ou, plus gore, du père qui cherche à nourrir sa famille affamée, ou de l’entrepreneur en agroalimentaire dont le fils se trouve transformé en rôti ? La vie édifiante de l’actrice de porno déchue Foona Baloona ? La lutte à mort des sœurs Crémier pour l’héritage de leur père ? Les pages sont traversées par des héros récurrents, le loser gominé Fred Fallo, le beau mais bête Gaston Talon, l’abruti Dick Talon ou l’improbable terroriste Barnstein. Chez Willem, qui pourfend riches, racistes, beaufs, politiciens et patrons véreux, aucun personnage ne rachète l’autre. Peut-être une manière de les aimer tous. Fabrice Piault