L'annulation récente de la grande exposition sur Camus, prévue pour être l'un des éléments forts de l'année culturelle Marseille-Provence 2013, témoigne bien des perturbations qui touchent l'organisation de l'événement. "C'est compliqué pour tout le monde, même pour l'équipe de Marseille-Provence 2013." Avec cette formule lapidaire, Léonor de Nussac, directrice de l'agence régionale du livre Paca (ARL Paca), résume le côté inextricable de l'organisation de l'"année Capitale". "On se place sur une aire géographique large [la candidature regroupant la majeure partie des Bouches-du-Rhône, NDRL], donc la programmation doit se faire sur un territoire culturellement contrasté. En plus, la répartition des compétences et des budgets prend forcément une dimension politique."
Les initiatives venues de ce territoire concernant le livre, la lecture et la littérature sont cependant riches et nombreuses : l'ARL Paca travaille sur un grand projet d'exposition itinérante, accompagnée d'ateliers et de rencontres avec les auteurs et illustrateurs de la région, pour mettre en valeur le patrimoine du plan régional de conservation partagée des fonds jeunesse. "Cela nous permet aussi de favoriser la coproduction entre les 70 bibliothèques participantes, ce qui est un mode de collaboration intéressant", précise Léonor de Nussac. En outre, les structures locales du livre ont soutenu dès le début la candidature de la ville par leur investissement : ainsi de Montévidéo, centre des écritures contemporaines ouvert il y a dix ans par le metteur en scène Hubert Colas, qui a conçu son festival Actoral à ce moment-là. "Le festival se voulait clairement un projet de soutien à la candidature de la ville, rappelle ce dernier. Il a pour lui de fédérer plusieurs structures, et la reconnaissance qu'il a rencontrée a rejailli sur elles." L'association des libraires indépendants Libraires à Marseille, dont le but est de "renforcer la présence des auteurs en librairie", selon son président Roland Alberto, a vu son festival Les Littorales, en octobre, associé à la programmation officielle. Le Centre international de poésie de Marseille (CIPM) propose un grand "colloque de Tanger" en mai - en référence à celui qui a réuni en 1957 les auteurs de la Beat generation - pour discuter de la création contemporaine, et en profite pour développer résidences et lectures. Et malgré cela, tous parlent des événements avec une moue désabusée... "Il est dommage que tous les acteurs, qui existent déjà et sont complémentaires, n'aient pas été appelés à se réunir", explique Marie-Dominique Russis, administratrice de Libraires à Marseille.
Comment en est-on arrivé là ? Après plusieurs réunions des principaux acteurs du secteur organisées par Bernard Latarjet, alors président de l'association MP13, un virage est pris l'an dernier : le président fait appel à Olivier Chaudenson comme directeur artistique avant de démissionner. "Dans un cadre budgétaire fixe, on m'a demandé de construire une cohérence, se souvient celui-ci. Je me suis appuyé sur les manifestations existantes et j'ai réfléchi de façon complémentaire." D'où d'intéressantes initiatives, tel ce roman-feuilleton publié dans La Marseillaise, issu du travail de douze auteurs en résidence d'un mois dans différents lieux de la ville et accompagné de rencontres en bibliothèque ou en librairie. Mais la dynamique de la programmation a changé : les initiatives locales des acteurs du livre sont reléguées au profit d'une réflexion qui donne le sentiment d'avoir été parachutée en urgence sur le terrain. Olivier Chaudenson ajoute : "On m'a demandé de fonder ma réflexion sur le caractère populaire de la littérature."
Visible, festive, bruyante
C'est la trace de la volonté politique marseillaise : il faut de la littérature populaire, comme on parle de bals populaires. Comprendre : visible, festive, bruyante. "A part le folklore provençal, la culture n'intéresse pas Gaudin [maire UMP, NDRL], qui considère, à tort, qu'elle fait perdre des voix, contrairement au sport", déplorait en décembre 2011 Julien Blaine, adjoint à la culture entre 1986 et 1995, dans une enquête pour Le Ravi et Mediapart (1). Or, note Léonor de Nussac, "le livre se mobilise différemment du spectacle vivant". Du coup, la programmation préfère faire la part belle aux arts de la scène. Alors que les histoires de concurrence entre MP13 et la mairie face aux sponsors vont bon train (2), les coupes des subventions municipales sont sévères (voir encadré). Pourtant, la "charte" des villes candidates à la Capitale européenne de la culture, signée dès la candidature, stipule bien que le budget doit se faire "sans réduction des budgets structurels préexistants".
Et voici que l'on retrouve le cliché d'une ville où rien ne se passe comme ailleurs, en foot comme en politique. On connaît la malheureuse histoire de la BMVR, dont le dernier conservateur d'Etat, Gilles Eboli, a claqué la porte il y a dix-huit mois après avoir passé trois ans à préparer l'"année Capitale" (3). Dirigée désormais par Christian Laget, administrateur municipal, la bibliothèque continue de se battre en interne contre la mainmise du syndicat Force ouvrière, qui a bloqué la plupart des projets. "Nous en sommes au point où nous faisons en sorte d'assurer l'accueil du public. C'est tout ce que nous pouvons encore faire", assure Muriel Gallon, cadre de la bibliothèque jusqu'à début avril. "Je suis la seizième cadre à quitter le navire", déplore-t-elle. L'Inspection générale des bibliothèques et le ministère de la Culture ont tenté début avril de redresser la situation. L'Alcazar proposera néanmoins une exposition de manuscrits. Le programme n'est pas bouclé mais, comme le dit Emmanuel Ponsart, directeur du CIPM, "il faut se battre".
(1) Le Ravi, n° 91, décembre 2011, p. 6.
(2) Voir l'article de Pierre Boucaud du 17 juin 2011 sur Marsactu.fr, "L'OPA de Gaudin sur MP13".
(3) Voir LH 844, du 3.12.2010, p. 55, et 845, du 10.12.2010, p. 51.