Le manuscrit original de Bureau et dénonciation , un poème de Federico García Lorca, vient d‘être exhumé de la bibliothèque du Congrès, à Washington, par un universitaire. Cette découverte met à jour des vers inédits. Les inédits sont souvent des fonds de tiroir et parfois de réels chefs-d'œuvre que l'on croyait disparus à tout jamais. Tous suscitent de grandes passions, littéraires, financières ou scientifiques, qui peuvent même prendre un tour judiciaire. Le droit français sur les œuvres posthumes est en effet complexe, mais d'une rigueur implacable, tant prévue par le Code de la propriété intellectuelle (CPI), que rappelée sans cesse par la jurisprudence. Aux termes de l’article L. 123-4 du CPI, « le droit d’exploitation des œuvres posthumes appartient aux ayants droit de l’auteur si l’œuvre est divulguée au cours de la période [de protection, c'est-à-dire généralement pendant au moins soixante-dix ans à compter de la mort de l'auteur] . Si la divulgation est effectuée à l’expiration de cette période, il appartient aux propriétaires, par succession ou à d’autres titres, de l’œuvre qui effectuent ou font effectuer la publication ». Pour l'écrivain qui n’est pas encore tombé dans le domaine public, seuls ses ayants droit percevront des redevances ; en revanche, pour ce qui est du manuscrit caché, et publié après la période légale de protection, les droits patrimoniaux reviendront au propriétaire matériel de l’inédit. Quant au chercheur ayant déchiffré les feuillets abandonnés au fin fond d’une institution, il ne bénéficie guère que… de la gloire. Ce régime juridique reste une exception au principe d'indépendance des propriétés incorporelle et matérielle. Dans le cas d’un auteur décédé depuis plus de soixante-dix ans, « la durée du droit exclusif est de vingt-cinq années à compter du 1er janvier de l’année civile suivant celle de la publication ». Mais l'abus de droit sanctionne ceux qui attendront l'expiration de la période légale de protection pour divulguer leurs trésors et bénéficier de quelques vingt-cinq ans de redevances. De plus, en 1990, la Cour d’appel de Paris a estimé que celui qui procède à la publication d’un inédit ne peut exiger la mention de son nom sur chaque reproduction de cet inédit. Les interrogations se font par ailleurs nombreuses face à la multiplication des différents états (ébauches, brouillons, etc.) d'un même texte, voire de ses copies manuscrites successives ; sans compter que, dans l'avenir, le cas des écrivains qui ne passent pas par une étape manuscrite (créant directement sur leur antique Underwood ou leur Mac) entraînera de nouveaux conflits. Un arrêt de la Cour de cassation de 1993, rendu à propos d'un inédit de Jules Verne, a tranché en faveur du propriétaire du manuscrit original et non de celui de la copie. Par ailleurs, le Tribunal de grande instance de Paris a de nouveau jugé, en 1989, que les bibliothèques sont bel et bien elles aussi titulaires des droits sur les manuscrits inédits dont elles sont propriétaires. Un décret du 20 février 1809 — toujours officiellement en vigueur — le précisait bien avant l'adoption de la législation actuelle, qui profite désormais à tous les « conservateurs », qu'il s'agisse d'établissements de consultation et de recherche comme de bibliophiles. Quid, à présent, de la réunion des inédits aux œuvres déjà connues ? L’article L. 123-4 du CPI précise : " Les œuvres posthumes doivent faire l’objet d’une publication séparée, sauf dans le cas où elles ne constituent qu’un fragment d’une œuvre précédemment publiée. Elles ne peuvent être jointes à des œuvres du même auteur précédemment publiées que si les ayants droit de l’auteur jouissent encore sur celles-ci du droit d’exploitation. " Une telle prohibition trouve son origine dans la peur de voir certains collectionneurs de manuscrits procéder à un amalgame trompeur entre les deux parties, et s’arroger des droits sur des œuvres déjà tombées dans le domaine public. La pratique invite les éditeurs prudents qui souhaitent réunir les inédits à obtenir l'accord aussi bien du propriétaire du manuscrit que des ayants droits de l'auteur. Car en tout état de cause, ces derniers conservent un droit moral sur l'ensemble de l'œuvre, droit qui ne connaît pas le domaine public puisqu'il est transmissible perpétuellement.