Le corps social s'ampute de ses excroissances jugées malignes, ces membres déviants qui ne marchent pas droit. Il redresse le tordu et l'oblique. Deux corps adolescents résistent au formatage et à leur dissolution dans le grand tout du collectif : les jeunes héroïnes de la nouvelle fiction d'Espedite, Utérotopie, regimbent devant les normes. Même l'intégration dans leur propre cellule familiale, elles n'en veulent pas. Tout ce qu'elles désirent, c'est être ensemble- fusionner contre le monde. Alors quand les services sociaux inquiets de leur maigreur extrême suspectent quelque maltraitance, elles manipulent, mentent, simulent, calomnient. Échapper à l'ordre quel qu'il soit : patriarcat, biopouvoir... Les deux amies anorexiques entendent préserver coûte que coûte cette glu de la gémellité qui les unit et fait leur force face à la machine à broyer les individualités qu'est la société, face à l'horloge biologique qui les précipite dans une puberté déjà captive des projections adultes. Pourquoi la contraception ? Pourquoi une sexualité vouée à la reproduction ? Espedite nous entraîne dans leur fuite en dedans et leur refus du corps tel que voudrait le modeler le regard externe. Mais cette fuite ne se fait qu'au prix de la rétraction, se retirer du monde et plonger en soi, se sustenter au plus profond d'elles-mêmes, ne plus manger, faire du vide pour combler d'autres faims, enfanter d'autres désirs- le vrai, celui qui creuse et ne sature jamais. Dans la traversée intérieure, elles n'auront pour seule boussole que ce sexe féminin tant redouté : l'utérus.