13 octobre > Essai France > Roger-Pol Droit

La marche est un thème qui fait son chemin dans la société comme dans l’édition. Quant à la philosophie, elle a toujours les faveurs du public quand elle reste accessible. Adroitement, cet essai conjugue les deux avec une certaine allégresse.

Evidemment, dans le titre, l’ambiguïté pèse sur le verbe marcher. Elle est affirmée et Roger-Pol Droit montre comment fonctionnent les philosophes : en marchant, mais pas seulement. Le chroniqueur du Monde des livres, auteur de nombreux ouvrages dont quelques beaux succès comme 101 expériences de philosophie quotidienne ("Poches Odile Jacob", 2003), se livre aussi à travers ces vingt-sept portraits. D’abord parce qu’il est lui-même philosophe et qu’il a déjà éprouvé ce sentiment de rassembler ses idées pas à pas. Il définit d’ailleurs joliment la marche comme "un début de chute". Mettre un pied devant l’autre est aussi essentiel que mettre un mot après l’autre. Pour constituer des phrases, un raisonnement, une pensée. Ensuite, on distingue, dans le choix de ces auteurs saisis dans leur mouvement de l’Antiquité au XXe siècle, une partie plus personnelle consacrée aux maîtres orientaux, Bouddha, Lao Zi, Confucius, Shankara..., auxquels il a déjà consacré plusieurs études.

Si la marche est redevenue une mode, c’est peut-être parce que le monde a besoin de se tenir debout et d’avancer. En tout cas, Roger-Pol Droit, qui publie également au Seuil La tolérance expliquée à tous, en librairie depuis le 8 septembre, exprime bien la part de modestie qui devrait inspirer toute philosophie. Voilà pourquoi il célèbre Guillaume d’Ockham ou Wittgenstein. "Le piège principal qui guette la pensée, c’est de croire avancer sur un terrain solide, alors qu’elle ne se meut nulle part, empêtrée sans le savoir dans le mirage des mots."

Il y a quelque chose de fondamentalement humain dans la marche. De fragile aussi, dans le lien que Roger-Pol Droit établit entre marcher, parler et penser. Tous les philosophes, notamment les Anciens, n’ont pas pensé en marchant, mais tous marchaient à la découverte du monde et surtout d’eux-mêmes : le péripatéticien qui se promène, le sophiste qui tourne en rond, le cynique qui se moque d’avancer, Montaigne allant "à sauts et à gambades", Rousseau sillonnant la France, le christique Apollonius de Tyane qui se rend au Ier siècle à pied jusqu’en Inde, Kant et sa promenade réglée comme une horloge qui n’aurait jamais retardé, sauf en 1789 où il s’arrête acheter le journal pour s’informer de la Révolution française, le Hongrois Alexandre Csoma de K?rös vagabondant des Carpates au Tibet, Marx qui regarde marcher l’histoire ou Wittgenstein passant entre les mots pour se rendre aux confins de la philosophie.

"Il n’y a pas de fin au voyage des humains", constate Roger-Pol Droit. Il n’est d’ailleurs pas étonnant que cette course aux idées qui s’accomplit sans effort soit publiée dans une maison d’édition qui privilégie l’aventure, le voyage ou l’alpinisme. Après tout, la philosophie est aussi une odyssée. L. L.

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