Le premier défi de ces auteurs et éditeurs de langue française est d’abord démographique. En effet, les lecteurs potentiels sont une denrée rare : à l’exception du Québec, les populations francophones d’Amérique du Nord restent minoritaires dans leurs provinces et Etats respectifs. "Il y a 750 000 habitants au Nouveau-Brunswick, dont 250 000 francophones, explique l’auteur acadien Herménégilde Chiasson (Editions d'Acadie, Nouveau-Brunswick), cette population n’est pas suffisante pour maintenir une industrie du livre francophone sans subventions".
Une position partagée par l’auteur et éditeur Jean-Roger Léveillé (Editions du Blé, Manitoba) qui souligne les difficultés de diffusion liées au manque de points de vente ainsi qu’aux grandes distances qui séparent les poches francophones du Canada, la vente sur internet révélant ici toute son utilité.
Par ailleurs, la production francophone peine à s’exporter. "Il y a des blocages et il est très difficile d’avoir accès au marché européen", regrette Mélanie Vincelette (Marchand de Feuilles, Québec). Quant aux traductions en anglais pour les marchés américain et canadien, elles restent rares. L'éditrice reconnaît toutefois que le Québec est un cas à part, plutôt privilégié par rapport aux autres provinces francophones : "Le marché est très différent car le Québec est en soi une culture populaire, les gens lisent des livres québécois".
Aussi les éditeurs francophones font-ils figurent d’exception, travaillant au sein de micro structures. "Quand on a vendu 200 ou 300 exemplaires d’un livre, c’est déjà un succès", précise Herménégilde Chiasson. Jean-Roger Léveillé, qui publie environ six titres par an aux Editions du Blé estime quant à lui qu’il lui faut en moyenne cinq à six ans pour écouler 500 exemplaires d’un livre.
Publier en français relève donc bien plus de l’engagement, voire de la résistance, que du projet mercantile. "Publier au Québec est toujours un acte engagé car nous préservons la langue française, nous travaillons pour faire en sorte que notre culture survive", plaide Mélanie Vincelette. Mais au Canada, comme aux Etats-Unis, le français semble offrir une belle résistance. "Après avoir été conspué pendant des années, le français revient au galop", estime David Cheramie, ancien directeur du Conseil pour le développement du français en Louisiane où vivent 150 000 francophones. "Il y a aujourd’hui un renversement de mentalité quant à la place du français en Louisiane avec une nouvelle génération qui a envie de se réapproprier cette langue", poursuit-il.
Pour Mélanie Vincelette, néanmoins, les institutions doivent continuer à offrir aux francophones des outils de protection pour ne pas se laisser immerger dans l’univers américain. La vigilance reste donc de mise : "On est toujours en danger lorsqu’on est en minorité".