Ceci est l'histoire (autobiographique ?), contée par le narrateur en personne, d'un jeune homme qui a raté (cinq fois) son agrégation de philo, se rêve écrivain, et se voit commander par un éditeur, Arnaud des éditions du Rocher, une biographie de Gérard de Villiers (1929-2013), journaliste people passé à la postérité en tant qu'auteur, entre autres mais surtout, de la série des SAS, pas moins de 200 titres parus entre 1965 et 2013. Le garçon, qui semble connaître plutôt bien son sujet et surtout ses livres, se donne sept mois pour boucler son affaire. Mais, au bout de quinze jours, il patine, et c'est la panne sèche. D'où le titre : « Mais rien ne vient. »
Après, grâce à Stéphane, son meilleur ami, ancien copain de fac devenu avec sa femme Maïssa et leur petit Théo la parfaite famille bobo, des vacances calamiteuses en Bretagne, il regagne Le Havre où il s'est installé et tout bascule une première fois : Dieu lui apparaît sous les traits de Frédéric Beigbeder, lequel lui enjoint de respecter son contrat et d'écrire sa bio. Puis tout bascule une deuxième fois. La police le retrouve chez lui, en compagnie des cadavres de deux Chiliens, le sodomite Farewell et le père Icabache, personnages sortis de Nocturne du Chili du grand Roberto Bolano. Les flics, eux, Brichot et Corentin (ce nom issu de Splendeurs et misères des courtisanes de Balzac) sont les héros de Brigade mondaine, une autre série de polars cornaquée et éditée par Gérard de Villiers - lequel était devenu son auto-éditeur après avoir longtemps enrichi Plon -, et écrits par plusieurs de ses nègres, pas moins de 340 volumes à partir de 1975. A la PJ, leur supérieur, le très corse Bardolini, dit Baba, lui présente un certain Malko Linge, vieux beau qui travaille toujours pour la CIA. Il ne manque plus à cette fine équipe que son concepteur, Gérard de Villiers soi-même, lequel ne tarde pas à apparaître. Le boss, c'est lui. Le vrai agent secret, dont les romans auraient contenu de précieux et cryptés renseignements à destination des services secrets français, dont il aurait été une taupe de luxe.
S'ensuit une série d'aventures aussi échevelées que totalement abracadabrantesques, où nos amis vont devoir lutter contre une armée de singes-clones nazis programmés par un certain Jacques Granola, collègue de jeunesse de Gérard de Villiers qu'il accuse d'être devenu à sa place écrivain riche et célèbre, chargés de « tuer la littérature » en assassinant dans le passé tous ses auteurs. Ainsi, les titres et les textes s'effaceront de nos librairies et bibliothèques et Granola n'aura plus qu'à les réécrire et à les signer. On s'y perd ? C'est normal, voulu par Moraux, qui ajoute encore à cet imbroglio Michel Houellebecq ou Thomas Pynchon.
Dans ce pastiche parodique de SAS et de James Bond pour l'intrigue et les scènes d'action voire d'horreur, un tantinet exagérées, et de San-Antonio pour le style dans les chapitres d'action, Julien Moraux en fait exprès des tonnes, truffe son texte de références et s'amuse avec la culture de son lecteur. Son roman tient à la fois du défouloir de khâgneux et de l'Oulipo, pour le dynamitage des genres littéraires. Totalement jubilatoire.
Mais rien ne vient
Le Rocher
Tirage: 3 000 ex.
Prix: 18.90 euros ; 318 p.
ISBN: 9782268096308