À la mi-mars, Publishers Weekly a publié un article au titre éloquent : « Publisher’s High on Marijuana Books ». Car, aux Etats-Unis, la légalisation en cours du cannabis, à usage notamment thérapeutique, et qui selon certains devrait aboutir pleinement en Californie en 2012, attire les convoitises des auteurs en tout genre et génère de véritables best-sellers. Economie, botanique, droit ou histoire, tous les aspects sont désormais abordés, permettant à certains ouvrages de dépasser allègrement les 60 000 exemplaires. D’où une multiplication des sorties en librairie, qu’on comprend d’autant mieux si l’on sait que le marché légal de « l’herbe » est estimé à quelque 35 milliards de dollars ! Les éditeurs français pourraient en prendre… de la graine. Certes, la Pléiade accueille cette saison les œuvres de Thomas de Quincey, auteur des fameuses Confessions d’un mangeur d’opium. Las, les maisons d’édition restent soumises à une législation draconienne. La loi française a instauré, voici déjà plus de quarante ans, une restriction majeure à la publication de livres qui seraient susceptibles de provoquer l’usage de drogues ou encore de les présenter sous un jour favorable. Par une loi du 31 décembre 1970, le Parlement a en effet clairement cherché à mettre un terme à une longue tradition littéraire, liée tant à la consommation qu’à la description. Aux termes de l’article L. 630 du Code de la santé publique, découlant de cette loi de 1970, le fait de provoquer au délit d’usage illicite ou de trafic « de l’une des substances ou plantes classées comme stupéfiants » est puni de cinq ans d’emprisonnement et d’une forte amende. Il en est de même « de présenter ces infractions sous un jour favorable ». Le texte précise encore que la sanction est encourue, « alors même que cette provocation n’a pas été suivie d’effet ». Quant à la notion de stupéfiants, elle désigne « toute substance naturelle ou synthétique figurant sur la liste des stupéfiants, mais aussi toute substance présentée comme ayant les effets de substances ou plantes classées comme stupéfiants ». La provocation à consommer un produit non réellement stupéfiant mais présenté comme tel est donc également prohibée ! Les débats parlementaires de l’époque contiennent d’intéressantes digressions littéraires pour justifier l’adoption de mesures aussi restrictives pour les livres et la presse. Le sénateur Le Bellegou s’était notamment illustré par sa culture livresque, le poussant à proclamer qu’ « une certaine littérature, Théophile Gautier, Baudelaire, plus tard Pierre Loti, Claude Farrère, ont contribué à faire connaître au grand public l’usage de l’opium et du haschich, à travers le mirage d’une littérature d’esthètes ou de poètes, en quête de sensations nouvelles ». En 1996, le Tribunal correctionnel de Paris a condamné L’Eléphant rose , mettant fin à sa carrière en kiosque. À cette occasion, les observateurs les plus autorisés ont relevé que le débat sur le texte législatif de 1970 était en lui-même frappé d’interdiction. En 1997, la Cour d’appel de Paris a rappelé que la simple représentation d’une feuille de cannabis pouvait donner lieu à des poursuites. Selon la jurisprudence de la Cour de cassation, la publication d‘un témoignage de drogué peut aussi être poursuivie, si elle n’est pas accompagnée d’un commentaire désapprobateur. Jean-Pierre Galland, l’auteur de Fumée clandestine , condamné en 1998 par le Tribunal correctionnel de Paris pour avoir adressé un « pétard » à chaque député, a pu relever à juste titre que « rien n’interdit de dire ou d’écrire que le cannabis provoque atonie ou douleur ; en revanche, toute notion de plaisir ou de satisfaction est objectivement interdite du débat ». Accessoirement, les juridictions ont eu l’occasion de relever que « LSD j’aime » n’est pas une mention licite, mais que le mot Opium peut être librement utilisé… en parfumerie. Quarante ans après l’ instauration de l’article L. 630, de nombreux juristes spécialisés s’étonnent toujours du maintien, en l’état, de ces dispositions. Ils rappellent souvent qu’en réaction à l’adoption, le 12 juillet 1916, de la première loi interdisant, en France, de telle substances, Antonin Artaud avait déjà écrit dans L’Ombilic des limbes : « Monsieur le législateur de la loi de 1916, agrémentée du décret de juillet 1917 sur les stupéfiants, tu es un con. (…) Ce n’est pas par amour des hommes que tu délires, c’est par tradition d’imbécillité. (…) Je souhaite que ta loi retombe sur ton père, ta femme et tes enfants, et toute ta postérité. Et maintenant avale ta loi ». Faites tourner.