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Dossier Romance : post coïtum

Olivier Dion

Dossier Romance : post coïtum

En retrait après la vague planétaire provoquée par le best-seller 50 nuances de Grey, le marché de la romance se trouve de nouvelles marques, à la fois érotiques et plus sombres, dans un paysage éditorial remodelé.

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Par Sophie Gindensperger
Créé le 03.02.2017 à 00h33 ,
Mis à jour le 03.02.2017 à 08h55

Quand la passion s’étiole, l’amour peut-il durer ? C’est en quelque sorte la question que pose le secteur de la romance au sortir d’une année 2016 en retrait. Il faut dire que 2015 avait mis la barre très haut, portée par l’immense succès de 50 nuances de Grey et l’appel d’air qui avait suivi. Puis le reflux est arrivé. En un an, les ventes ont baissé de 30 %. L’historique Harlequin, désormais détenu à 100 % par HarperCollins, retrouve sa place de leader, devant l’outsider Hugo & Cie, qui la lui avait volée l’an dernier. Les grands formats, qui avaient bien entrepris la conquête des rayonnages chez les libraires, cèdent à nouveau du terrain aux livres de poche. Format historique du genre, particulièrement vendu dans les hypermarchés ou les grandes surfaces culturelles, ces derniers représentent en 2016 les trois quarts des ventes en volumes contre 65,4 % en 2015.

"En sortant un volume par an sur un marché aussi chargé, on risque de perdre les lecteurs en cours de route." Antoinette Rouverand, Lattès- Photo OLIVIER DION

Un public de lectrices

Cette vague passée, le marché est aujourd’hui bien chargé. "Saturé", estime Antoinette Rouverand, directrice marketing chez Lattès. Chez les libraires, on voit que "ça s’essouffle", loin de la folie provoquée par les quatre volumes de badinage sado maso soft de Christian Grey et sa blanche colombe. "Mais le public d’aujourd’hui est plus assumé", estime une responsable de rayon à la Fnac.

Car de ce tremblement de terre éditorial est sorti un nouveau segment bien vivace, qui passionne un public constitué quasi exclusivement de lectrices : celui du "new adult", un dérivé du "young adult" (Twilight, Hunger games…), très reconnaissable à ses titres, toujours un ou deux mots courts et percutants, en anglais (Driven, Beautiful, Bad…), et une couverture plutôt sobre. Ces auteurs narrent des histoires d’amour passionnées en cassant les codes habituels du genre, osent la première personne, le langage parfois cru, et s’emparent de la période de transition du passage à l’âge adulte : premier boulot, problèmes familiaux, avec une large place donnée à des ébats explicites (mais pas fétichistes).

"Nous recentrons notre offre sur des romans plus sexy, parce que c’est ce que plébiscitent les lectrices." Isabelle Varange, Milady- Photo OLIVIER DION

Avec sa collection "New romance", Hugo Roman a surinvesti ce genre en publiant 52 titres en 2016 ; 64 sont prévus en 2017. La maison a même lancé fin septembre un festival consacré à ce label, à Bandol dans le Var. Son auteure emblématique, Anna Todd, connue pour avoir commencé sur la plateforme communautaire Wattpad, continue d’attirer les fans avec chacun des nouveaux volumes de sa saga After, inspirée du groupe One direction. La série a cette année été enrichie de deux préquelles, intitulées Before, qui se sont vendues à plus de 100 000 exemplaires, puis des deux volumes d’une série dérivée basée sur un personnage secondaire de la saga, Landon. Publié en novembre, le deuxième volume figure déjà dans les 50 meilleures ventes de l’année.

Hugues de Saint Vincent, directeur général d’Hugo & Cie- Photo OLIVIER DION

Telle semble être la formule du philtre d’envoûtement : une fois prises dans les méandres relationnels de personnages auxquels elles s’attachent, les lectrices en redemandent. Reste donc à trouver la prochaine série qui, de la même façon, saura accrocher des jeunes femmes bercées par le rythme des séries télé et nourries à Netflix. Des auteurs que l’on cherche le plus souvent dans le monde anglo-saxon, dont les Français guettent le moindre frémissement, même s’ils s’autorisent de plus en plus à faire émerger des auteures françaises. Ces nouvelles formes de romance en série sont aussi les plus à même de faire progresser la part de la lecture numérique (environ 20 % des ouvrages vendus, selon les éditeurs du secteur, même si elle peut atteindre 50 % sur certains ouvrages, notamment en "new adult"). Ces nouvelles habitudes de lecture poussent les éditeurs à publier les différents volumes de façon de plus en plus rapprochée. "En sortant un volume par an sur un marché aussi chargé, on risque de perdre les lecteurs en cours de route", estime Antoinette Rouverand. Lattès a d’ailleurs choisi de publier le même jour les deux volumes Don’t go et Come back, dont les couvertures se complètent.

Univers varié

Pour cette année, Hugo Roman parie sur Calendar girl d’Audrey Carlan, véritable succès aux Etats-Unis. La série fait l’objet d’une importante campagne marketing, et table sur l’envie renouvelée de connaître les aventures de Mia, devenue escort girl pour éponger les dettes de son père. Hugues de Saint Vincent, directeur général d’Hugo & Cie, n’en dira cependant pas plus sur sa stratégie à venir : "Tout le monde nous copie", s’émeut-il.

"2016 a confirmé l’existence d’un marché qui n’est plus uniquement réservé aux poches, et qui n’avait pas de légitimité chez les éditeurs de littérature générale." Karine Lanini, Harlequin- Photo OLIVIER DION

Harlequin affirme pourtant considérer d’un bon œil cette concurrence renouvelée : "2016 a confirmé l’existence d’un marché qui n’est plus uniquement réservé aux poches, et qui n’avait pas de légitimité chez les éditeurs de littérature générale. Pour nous, ça a été un appel d’air, s’enthousiasme Karine Lanini, directrice éditoriale du pôle romance. C’est un challenge : on n’était pas beaucoup à jouer dans cette cour-là, ça nous a permis de nous poser plein de questions, d’aller chercher des textes qu’on n’aurait pas cherchés autrement."

Pour renouveler le genre, les éditeurs s’attachent à varier les univers (du groupe de rock au foot américain, du gang de motards au milieu du tatouage…), mais aussi à aller toujours un peu plus loin dans la caractérisation de personnages sombres et torturés. Cette tendance à la "dark romance" a notamment été amorcée avec Captive in the dark de C. J. Roberts (Pygmalion puis J’ai lu) où l’héroïne se prend de passion pour son ravisseur et violeur. Harlequin publie un roman intitulé Dark romance de Penelope Douglas, à base de relation toxique et de manipulation mentale. Ces histoires très sombres prennent en quelque sorte le relais de la bit-lit, pour l’instant en perte de vitesse. "Ce sont des histoires qui nous ont touchés, qui sortent de nos habitudes de lecture", explique Karine Lanini. "Explorer ces limites-là, c’est aller du côté de ce qui fait la force de la romance, quand l’impossibilité est la plus forte. Ce n’est pas une niche mais plutôt un nouvel aspect que nous développons", ajoute-t-elle. Les histoires plus légères et humoristiques restent cependant une valeur sûre, incarnées chez J’ai lu par Alice Clayton (Wallbanger) ou chez Harlequin par Angéla Morelli (Ça a commencé comme ça). Le sexe demeure au cœur de l’histoire, plus qu’avant encore : "Nous recentrons notre offre sur des romans plus sexy, parce que c’est ce que plébiscitent les lectrices", confie Isabelle Varange, directrice éditoriale chez Milady-Bragelonne.

Entre érotisme et récits soft

"Nous avons fait le choix de la modernité, sans être en rupture. Les lectrices de romance sont très attachées à l’aspect physique des livres." Margaret Calpena, J’ai lu- Photo OLIVIER DION

Pour les acteurs historiques de la romance s’est engagé un numéro d’équilibriste : profiter de cette vague pour conquérir de nouvelles lectrices, sans pour autant perdre les plus fidèles. J’ai lu, par exemple, a modifié cette année sa charte graphique. Mais hors de question de tout jeter au feu, car il faut respecter les étagères des collectionneuses. "Nous avons fait le choix de la modernité, sans être en rupture. Les lectrices de romance sont très attachées à l’aspect physique des livres", rappelle Margaret Calpena, responsable éditoriale chez J’ai lu. En poche, l’éditeur vient de créer une nouvelle collection "Love addiction". A mi-chemin entre l’érotisme assumé de la collection "Passion intense" et les récits plus soft de "Promesses", celle-ci se glisse parfaitement dans ce modèle de "New romance", avec des intrigues contemporaines et urbaines. Une façon de rendre hommage aux bons moments partagés, sans oublier de pimenter un peu le quotidien. Peut-être est-ce là le secret d’une histoire qui dure.

La romance en chiffres

Peut-il y avoir une romance à la française ?

 

Si la romance reste la chasse gardée des Anglo-Saxons, le numérique a ouvert de nouvelles portes aux auteures françaises.

 

"Pour le numérique, le temps passé sur le texte est le même que pour un auteur papier." Claire Deslandes, Bragelonne- Photo OLIVIER DION

Anna Todd, E. L. James, Sylvia Day… Les Anglo-Saxonnes dominent sans partage les meilleures ventes dans l’Hexagone, et aucune auteure française ne semble pouvoir rivaliser avec les mastodontes du secteur. Quand bien même elles y parviendraient, ce ne serait pas forcément facile à repérer : Emily Blaine (Harlequin), qui pointe à la 41e place des meilleures ventes du rayon et dont les histoires se déroulent toutes outre-Atlantique, est, comme son pseudonyme ne l’indique pas, une auteure française. "C’est elle qui l’a choisi", assure sa directrice éditoriale, Karine Lanini, qui n’aurait pas vu d’objection à ce que celui-ci ait une résonance plus hexagonale. Il arrive souvent que les Françaises se camouflent derrière une signature très anglo-saxonne, de leur propre fait ou à la demande de leur éditeur. "Je trouve ça agaçant quand c’est l’éditeur qui le demande", confie l’auteure Harlequin Angéla Morelli, qui publie aussi des récits érotiques chez Milady sous le nom d’Emma Foster. "On te dit que ç’est plus vendeur quand on te lance, mais je pense que c’est de moins en moins vrai", estime-t-elle.

Romance au numérique

Les Françaises sont en tout cas de plus en plus nombreuses sur ce secteur. Cette percée résulte en partie du développement de l’édition numérique, considérée par les éditeurs comme une sorte de laboratoire, qui limite les coûts et donc les risques. Quitte à passer au format papier quand ça marche. Plusieurs auteures françaises de romance ont suivi ce chemin, que ce soit Emily Blaine chez Harlequin, lauréate du concours de la plateforme numérique HQN lancée en 2013, ou encore Pauline Libersart, éditée chez Hachette en primo-numérique ("Black Moon Romance") avant de passer en papier chez Marabout. "Cela réduit les coûts d’impression, mais le temps passé sur le texte est le même que pour un auteur papier", rappelle Claire Deslandes, directrice de la publication numérique chez Bragelonne-Milady. Chez Hugo Roman, c’est la plateforme d’écriture communautaire Fyctia, créée en 2015 sur le modèle de Wattpad, qui doit jouer ce rôle. Son label numérique, La Condamine, a publié cette année plusieurs romans issus de ce vivier, dont la moitié avec un titre anglo-saxon. My escort love a été publié chez Hugo Roman en format papier en octobre dernier.

Sans forcément attendre une héroïne portant une baguette sous le bras et flashant sur un éphèbe coiffé d’un béret, on constate que sous les plumes françaises, les personnages voguent encore très souvent entre grandes métropoles anglo-saxonnes et paysages sauvages de l’Ouest américain. "Le problème, c’est que la romance que veulent les fans est très codée", explique Antoinette Rouverand, directrice marketing chez Lattès. L’éditeur en France de Fifty shades a pourtant tenté le coup cette année en publiant en mars 2016, sous son label "& moi", Si on vous l’avait dit de la Française Laura Trompette. Avec cette histoire qui se déroule entre Londres et la Corrèze, l’éditeur pensait que le sentiment d’identification jouerait à plein. Mais l’ouvrage n’a pas pris comme prévu. "On voulait jouer à fond la carte française. En fait, la lectrice se fiche que l’auteure soit française, c’est l’histoire qui intéresse", juge-t-elle avec le recul. "Le problème, ajoute-t-elle, c’est que le dépaysement n’est alors pas au rendez-vous."

Chez J’ai lu, où la recherche de nouvelles auteures françaises est aussi un axe de travail, on estime que les Françaises sont mieux indiquées pour tout ce qui relève du créneau "feel-good book".

"Le romantisme à la française, ce n’est pas exactement le même que le romantisme anglo-saxon, on a une façon d’être, d’aborder la vie, différente", estime de son côté Hugues de Saint Vincent, directeur général de Hugo & Cie, qui ajoute : "Les auteures françaises qui émergent sont les enfants des auteurs déjà publiés, la romance étant un style qu’il faut s’approprier." Et la France a sa carte à jouer à l’étranger, où l’éditeur explique avoir vendu les droits de plusieurs de ses auteurs. Même signal chez Milady : Le temps volé de Chloé Duval, une histoire qui se déroule en Bretagne publiée en mars 2015, va être traduite dans quatre langues et vendue notamment aux Etats-Unis.

Meilleures ventes : deux reines

A elles seules, Anna Todd et E. L. James se partagent quasiment toutes les 20 premières places du top 50 GFK/Livres Hebdo des meilleures ventes de romance. La jeune Texane qui, depuis ses premiers pas sur Wattpad, a décliné l’univers d’After en 7 tomes et 2 spin-off, monopolise 7 places dans le top 10, au Livre de poche pour les premiers volumes, chez Hugo Roman pour les trois derniers. Dans un marché peu enclin aux long-sellers, Cinquante nuances de Grey, publié en France il y a plus de trois ans par Lattès, continue d’attiser les curiosités au Livre de poche. Seule Sylvia Day, dont la série Crossfire est éditée chez J’ai lu en semi-poche, se permet de venir titiller l’hégémonie des deux reines du genre.

Avec 27 romans dans les meilleures ventes, Hugo Roman et sa collection "New romance" dominent toujours le secteur. Comme l’an dernier, cette nouvelle forme de romance semble avoir supplanté le sentimental plus traditionnel, qu’on retrouve en fin de classement avec un volume de la série Lieutenant Eve Dallas de Nora Roberts chez J’ai lu, et un pack de trois romans de la collection "Azur" chez Harlequin. L’éditeur historique parvient à placer deux de ses grands formats dans le top 50 : Amour interdit, le tome 1 de la série Bad de Jay Crownover, et Colocs (et plus) de la Française Emily Blaine.

Petite surprise dans le classement, le thriller érotique Maestra de L. S. Hilton, publié chez Robert Laffont en mars 2016 à grand renfort de marketing, se place en 21e position du classement.

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