5 septembre > Essai France

Denis Diderot (1713-1784). A l’insaisissable d’une vie, il fallait une biographie fugitive. En voici une. Elle s’adapte parfaitement à un sujet impossible à figer dans un tricentenaire. Michel Delon, éditeur de Diderot et de Sade dans la « Pléiade », professeur à l’université de Paris-4 Sorbonne, l’a bien compris.

Il a donc choisi le principe du coup de sonde. A chaque chapitre, il apporte un élément de compréhension de l’homme ou de l’œuvre. Il parvient ainsi à cerner cet écrivain qui reprochait à son portraitiste Louis Michel Van Loo de n’avoir représenté qu’un visage alors qu’il considérait en avoir cent.

Michel Delon part donc sur les traces de Diderot, à Langres, l’austère plateau d’où s’écoule la Seine, où il est né. Il arpente les rues de Paris, ausculte les portraits, dévoile les grands chantiers des œuvres complètes comme celui, toujours en cours, chez Hermann, ou revient sur les récentes polémiques à propos de la célèbre toile de Fragonard qui représenterait non pas le philosophe, mais un autre écrivain, Meusnier de Querlon.

Glouton de savoir, de femmes, de vie, Diderot est le contraire de l’austère Rousseau, son frère ennemi uni par la même passion du savoir. C’est un charnel, un artisan. Il a presque le besoin de toucher une notion pour la comprendre. C’est bien ce qui ressort de ce Diderot physique, bien en chair, qui exprime son refus du luxe en parlant de sa vieille robe de chambre.

Ce Diderot, cul par-dessus tête est un Diderot animé. Il montre comment un auteur vit encore aujourd’hui et comment on peut le comprendre. Michel Delon possède le style et les mots pour dire cette complexité avec l’élégance de l’érudition qui ne se montre jamais plus qu’il ne le faut. Il raconte le Diderot traducteur, le Diderot séducteur, le Diderot amateur de peinture, celui qui œuvre pour l’Encyclopédie qu’Adam Smith lira comme un roman de la pensée pour y puiser une partie de son libéralisme. Les chapitres sont autant de petits essais incisifs qui peuvent se lire séparément et même dans le désordre, jusqu’au dernier constitué d’un dialogue imaginaire avec ce trublion qui finit par se révéler. Au-delà du « cas Diderot », Michel Delon nous invite à réfléchir sur notre rapport avec les œuvres d’hier, celles que nous abordons avec nos pensées, nos présupposés et nos demandes d’aujourd’hui. Il évoque ainsi Les dames du bois de Boulogne de Bresson ou La religieuse de Rivette qui puisent, chacun à sa façon, dans ce formidable accélérateur d’idées que fut l’auteur de la Lettre sur les aveugles.

On ne pouvait mieux rendre le rêve de liberté si cher à Diderot que dans cet essai libertaire iconoclaste. Michel Delon est resté fidèle à ce Principe de délicatesse (Albin Michel, 2011) dans lequel il démontrait l’énergie qui irrigue ces Lumières qu’il aime tant. Voilà pourquoi son Diderot chamboulé semble si présent. L. L.

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