3 MAI - ROMAN Mexique

Paco Ignacio Taibo II- Photo DANIEL MORDZINSKI

Il n'y a qu'un Paco Ignacio Taibo II, écrivain délicieusement loufoque et engagé - on lui doit notamment une biographie magistrale du Che -, et sans doute le seul Mexicain au monde à ne boire que du Coca-Cola - pourtant l'un des symboles les plus énervants de l'impérialisme yanqui - qui ait osé se lancer dans une telle aventure : revisiter l'oeuvre d'Emilio Salgari (1862-1911) en ressuscitant ses plus fameux héros, Sandokán et Yánez de Gomara, les Tigres de Malaisie. Sachant que c'est une récidive, puisque Taibo avait déjà consacré quatre des 136 chapitres de son roman A quatre mains à un autre livre de Salgari, lequel est un peu considéré comme le Jules Verne italien. Aussi prolifique, mais en plus sombre - il finira par se suicider - et bien plus mythomane.

Chez Taibo, nous sommes en 1877, et les Tigres ont vieilli. Le prince malais en rupture de ban et son frère de sang portugais, ancien maharajah d'Assam, ont maintenant des cheveux blancs. Mais ils se battent toujours comme des grands fauves en forme. Et l'âge n'a en rien entamé leurs convictions idéologiques : libertaires, anti-impérialistes résolus, ils soutiennent les luttes des peuples exploités et opprimés par les puissances coloniales. L'Angleterre de la reine Victoria, en particulier, leur ennemie jurée.

Et justement, dans cet épisode, les Tigres vont découvrir, puis démanteler, un vaste trafic mis au point par la perfide Albion afin de s'approprier le commerce mondial de l'hévéa, l'arbre à latex et à caoutchouc. Des sujets britanniques en ont dérobé des plants au Brésil, et les ont transplantés en Asie, où ils ont proliféré. Ne leur reste plus qu'à en assurer l'exploitation et le trafic. A la manière de celui de l'opium, par exemple, fléau à la fois pour les Indiens, producteurs forcés, et les Chinois, consommateurs asservis. Le caoutchouc est certes moins nocif que la pipe, mais il peut déséquilibrer des économies, menacer des écosystèmes et le mode de vie des populations - cadets des soucis des Britons détestés.

Au fil des pages, Taibo s'amuse à balader La Mentirosa, le bateau qui a deux vieux Tigres dans son moteur, à travers toute la zone : Bornéo, Macao, Hongkong, Singapour, "un chaudron racial symbolisant tout le monde asiatique oriental sous domination britannique ». On bourlingue, on papote, on combat quand même. Tout cela est jubilatoire, décalé. Un pastiche, certes, mais fidèle à l'original, notamment pour les convictions des Tigres. Et nourri par une documentation impressionnante : Taibo a tout lu, et sa reconstitution vaut largement celles de Salgari. Au point, un moment, qu'on se demande si, expert en mystifications, il n'aurait pas aussi inventé le personnage de son prédécesseur. Mais non. Défi remporté haut la main, en tout cas, par le farfelu de Mexico.

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