"Il faut entrer dans le mystère de l’autre", même s’il reste à jamais une part d’inaccessible. Jean-Luc Seigle aime les solitaires. Ceux qui sont étranglés par une réalité trop éprouvante. La scène d’ouverture de son nouveau roman commence dans l’épouvante. Il nous met face à Reine, une femme abandonnée qui croit que le pire vient d’arriver. A-t-elle assassiné ses trois enfants ? L’angoisse l’étreint lorsqu’elle scrute le couteau de cuisine. Tout est si flou qu’elle craint d’avoir perdu ses garde-fous.
"La nuit impossible" reprend son cours normal quand Reine perçoit les voix de ses petits. Elle est soulagée, mais elle s’en veut de les élever dans la misère. Comment survivre sans emploi et sans Olivier, parti dans d’autres bras ? "Tout peut se mesurer à la légèreté ou à la lourdeur d’une larme." Malgré sa chute silencieuse, cette Amélie Poulain tragique cultive un regard naïf sur le monde. Elle refuse de rester "débo-binée".
Et si le miracle se produisait grâce à une mobylette bleue ? Soudain, sa vie prend un autre chemin. Elle obtient un job de thanatopractrice et renaît sous les caresses du camionneur Jorgen. "Le chagrin était aussi fécond que le bonheur." Tous deux nourrissent savamment ce conte social d’une amazone moderne.
Les jurés des prix RTL-Lire ou des Lectrices de Elle ne s’y sont pas trompés en distinguant une plume colorée. Capable d’affûter des émotions contradictoires, Seigle oscille entre le songe et la réalité pour plonger dans les interstices de l’injustice. Kerenn Elkaïm