Ora, Ilan et Avram se sont connus en 1967. Dans un hôpital. En pleine guerre et en pleine fièvre. Les trois protagonistes du nouveau roman de David Grossman ont ensuite toujours été intimement liés. Même lorsqu'ils ne se voyaient pas. Les années ont passé. Ora, qui a étudié les sciences sociales, a eu deux enfants. L'un avec Ilan, Adam. L'autre avec Avram, Ofer. En 2000, la voici séparée d'Ilan, qui a "partagé et enrichi son existence dans les jours heureux", actuellement en voyage en Amérique du Sud avec Adam.

Ora se faisait une joie d'aller crapahuter pendant une semaine avec son cadet en Galilée après la fin de son service militaire de trois ans au sein de l'Armée de défense d'Israël. Sauf qu'Ofer a décidé de rempiler. De participer à une mission supplémentaire pouvant durer vingt-huit jours. Avec Sami, le chauffeur arabe qui fait presque partie de la famille, Ora accompagne au point de ralliement un fils qui porte déjà armes et uniforme. Avant de filer, le jeune homme essaye de lui faire promettre de quitter le pays s'il venait à lui arriver quelque chose...

La femme fuyant l'annonce, c'est cette Ora, persuadée qu'Ofer est en danger. Qu'il risque de mourir d'un moment à l'autre. Le périple en Galilée, elle en a grand besoin pour faire le point. Pour se couper du monde et de sa violence. L'héroïne de David Grossman va s'y rendre avec Avram, dont elle n'a pas eu de nouvelles depuis trois ans et qui vient de lui téléphoner. Avram le solitaire sert d'homme à tout faire dans un restaurant indien et reste enfermé dans son appartement sombre... David Grossman ne lâche pas un instant Ora, assaillie par les souvenirs, qui a l'impression qu'elle ne connaît pas son fils. L'auteur de Voir ci-dessous : amour (Seuil 1991, repris en Point) nous ramène dans le passé commun du trio formé par Ora, Ilan et Avram.

Nous voici au moment de la naissance d'Adam. Lorsque Ilan prit les voiles et revint plus tard s'installer dans la cabane du jardin. Puis quand Avram rentra brisé, "sans une goutte d'amour", d'une guerre où il a été fait prisonnier par les Egyptiens et torturé. A mesure qu'elle chemine aux côtés de lui, Ora comprend qu'elle n'a rien oublié. Qu'elle peut revoir avec netteté l'enfance d'Ofer. Un petit garçon qui est resté "muet comme un moine" jusqu'à ses trois ans. Qui se mit un jour à détester la viande et voulait décrocher un emploi "où il servirait de cobaye pendant son sommeil". Un être rationnel et pragmatique ne voulant plus, à l'âge de six ans, être juif. "On nous tue tout le temps, on nous déteste", expliquait-il alors...

David Grossman impressionne d'un bout à l'autre par sa maîtrise narrative et stylistique. Par sa manière de dessiner en finesse ses personnages désespérés, de peindre en arrière-fond la situation éminemment complexe de son pays.

Roman total et bouleversant, Une femme fuyant l'annonce interroge sur des thèmes universels. Comment vivre sur une terre où se commettent de telles horreurs ? Comment aimer, comment élever des enfants ? Entamé par Grossman en 2003, Une femme fuyant l'annonce a été achevé en 2007. Après qu'Uri, son fils cadet, a péri aux dernières heures du conflit avec le Liban à l'été 2006.