Cinq ans après les trois volumes de Toxic (Cornélius, 2010-2014), où il s'aventurait dans les méandres tortueux d'une psyché travaillée par les univers d'Hergé et de William S. Burroughs, dans une écriture automatique aux prises avec toutes sortes de réminiscences, revoici le grand Charles Burns. Apparemment définitivement converti à la couleur depuis Toxic, l'auteur américain signe un nouveau récit psychanalytique. Simultanément banal et fantastique, prenant pour personnage principal un dessinateur et cinéaste, celui-ci révèle un de ses récits le plus personnel depuis Black Hole (Delcourt, 1998-2005, réédité en intégrale en 2006), dans lequel il formulait avec une lucidité sidérante la mutation et le mal-être propres à l'adolescence.
En marge d'une fête dont lui parviennent les échos, Brian Milner s'est installé dans la cuisine. Fixant son reflet déformé dans un grille-pain en inox, il dessine un autoportrait étrange, dans lequel sa tête se réduit à un cerveau hypertrophié, à moins qu'elle ne représente une planète prisonnière de son corps d'homme, ou une pieuvre en devenir. S'approche une jeune femme rousse qu'il ne connaît pas. Laurie se présente comme l'amie de Jimmy, son ami d'enfance, et l'actrice du film que ce dernier projette de réaliser avec Brian. Un projet ambitieux puisqu'il s'agit de représenter, ainsi que l'expliquera Brian lui-même, « tous les trucs tordus qui se passent dans ma tête ».
Faisant porter la narration alternativement par Brian et par Laurie, Charles Burns fait interagir deux récits parallèles : celui de la rencontre ambiguë et de la découverte réciproque des deux personnages, et le déroulé des rêveries de Brian, visions déformées et fantastiques de la réalité dans lesquelles l'actrice putative du film à venir s'incruste logiquement. Rendant hommage au pouvoir explicitatif du cinéma fantastique, il explore les moyens de représenter l'inconscient et entraîne ses lecteurs dans de nouveaux « dédales » - le titre de l'ouvrage, qui pourrait aussi bien s'appliquer à l'ensemble de l'œuvre de l'auteur.
Cornélius ayant préféré publier Dédales dès maintenant en série plutôt qu'en intégrale d'ici à cinq ou six ans comme prévu aux Etats-Unis, on en découvre malheureusement que les 61 premières planches. Mais si elles laissent sur leur faim, elles provoquent déjà, par l'étonnante combinaison de froideur et de sensualité qui est devenue la marque de fabrique du dessinateur, cet effet de fascination dérangeant caractéristique de ses œuvres.
Dédales. Volume 1
Cornélius
Tirage: 10 000 ex.
Prix: 22.5 € ; 64 p. en coul.
ISBN: 9782360811649