24 JANVIER - LITTÉRATURE France

Certains éditeurs semblent désireux de prendre de l'avance sur l'avalanche de publications qui vont venir, à partir de l'année prochaine, commémorer le centenaire de la Première Guerre mondiale. Ainsi Omnibus, qui a eu l'idée de rassembler en un fort volume toute l'oeuvre "de guerre" de Roland Lecavelé dit Dorgelès (1885-1973), lequel a "fait" les deux : combattant en 1914-1915, puis correspondant de guerre en 1939-1940.

L'ensemble, joliment préfacé par l'historien Jean-Pierre Rioux, comprend donc six textes, tous parus chez Albin Michel de 1919 à 1957, rangés non point par ordre chronologique strict, mais de manière à faire sens. Ainsi les illustres Croix de bois (1919), best-seller de Dorgelès en dépit de son échec au Goncourt contre A l'ombre des jeunes filles en fleurs de Proust, sont-elles suivies par Le cabaret de la belle femme (1928), qui rassemble les chapitres des Croix de bois censurés en temps de guerre, accusés de risquer de démoraliser la population ! Même dix ans après la fin du conflit, et malgré le comportement exemplaire de son auteur engagé volontaire au front - blessé, il fut cité à l'ordre de l'armée et décoré de la croix de guerre -, le livre fit polémique. Mais l'élection de Dorgelès à l'académie Goncourt, au siège de son ami Courteline, désamorça la cabale. Vient ensuite Le réveil des morts (1923), où Dorgelès revient sur les destinées de ses camarades tombés durant la grande boucherie, mais sans pathos, et sans qu'on puisse lui prêter aucune arrière-pensée politique d'aucun bord : il se revendiquait "anarchiste catholique" et a toujours été anti- (totalitaire, communiste, fasciste, collabo, engagé, etc.), ce qui ne lui a pas valu que des amis.

En 1939, à 54 ans, il se réengage, non plus dans l'active, mais comme correspondant de guerre. Et suit celle qu'il sera le premier à baptiser "drôle", dans un article pour le très droitier Gringoire. De cette expérience, il tire un livre "à chaud", Retour au front, mal reçu lors de sa parution en 1940, qu'il rééditera, augmenté, en 1957, sous le titre La drôle de guerre. Fort honnêtement, il reconnaîtra qu'il n'avait pas compris grand-chose aux événements et qu'il s'était, au début, fourvoyé, avant d'aider la Résistance. Une attitude qui a failli lui attirer à la Libération quelques ennuis, et contre quoi il alluma, en guise de contre-feu, Carte d'identité, une plaquette parue en 1945, réquisitoire violemment "anti-boche" et qui n'est pas de son meilleur.

De la Première Guerre mondiale, Dorgelès ne se voulut jamais, contrairement à d'autres, témoin, mais romancier. C'est ce qui lui donne sa totale liberté dans le récit, et une insolence unique dans le ton. La guerre, «c'est une farce, je vous jure que c'est une farce. On la feuillette avec des doigts rouges, c'est tout", écrivait-il dans une de ses lettres du front. Sa démarche, surtout à propos de la guerre suivante, n'a pas été très bien comprise de ses contemporains. Cette oeuvre "de guerre", signée par un homme droit et honnête, mérite amplement la relecture.

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