La revue L’Amateur de cigare a bénéficié d’un arrêt de la Cour d’appel de Paris en date du 16 janvier 2015. Le périodique était poursuivi par une association dénommée Les droits des non-fumeurs. Celle-ci invoquait les articles L. 3511-1 et L. 3511-3 du Code de la santé publique, issus de la loi n°91-32 du 10 janvier 1991, dite « loi Évin ». L’association voulait fustiger notamment une interview donnée par un chanteur photographié avec deux cigares en poche. Les magistrats relèvent, pour donner raison aux fumeurs de Havane, que « le magazine a pour finalité le partage d’expériences entre consommateurs éclairés et leur information autour de la culture du cigare, sans que soient tenus des discours visant directement ou indirectement à inciter à consommer du tabac, ou que n’apparaissent de publicités pour des produits du tabac ».
La Cour ajoute que « les pages incriminées s’inscrivent dans ce contexte d’expériences personnelles, avec parfois des touches humoristiques s’agissant des pictogrammes repris de la lutte antitabac, lesquelles relèvent de la liberté d’expression et ne peuvent être assimilées à des agissements de prosélytisme en faveur de la consommation de tabac ». Ainsi, la revue « ne présente pas d’impact sur la consommation de tabac tel que visé par les objectifs de protection de la santé publique ».
Rappelons qu’une telle exégèse n’a pas été souvent partagée et que, bien au contraire, un curieux phénomène d’autocensure a saisi les acteurs de la culture confrontés à des images de fumeurs. La Poste a édité en 1996, dans le cadre de l’hommage rendu par la France à André Malraux, pour le vingtième anniversaire de sa mort, un timbre à l’effigie de l’écrivain et ancien ministre de la Culture du général de Gaulle. Mais l’image choisie — une reproduction de la célèbre photographie de la portraitiste Gisèle Freund —, avait subi une réelle mutilation, la cigarette d’André Malraux ne figurant plus entre ses lèvres. La Poste a alors expliqué cette décision par la volonté de ne pas promouvoir la cigarette, estimant ainsi respecter les objectifs de la loi Evin.
De la même manière, en 2005, les graphistes ayant travaillé sur le catalogue de l'exposition de la Bibliothèque Nationale de France consacrée à Jean-Paul Sartre à l'occasion du centenaire de sa naissance, s’étaient crus autorisés à gommer la cigarette qui quittait rarement ses doigts. Cette dérive dans l’application de la loi Evin est allée encore plus loin en 2009, au sein de l’espace d’affichage de la Régie Autonome des Transports Parisiens (RATP).
En effet, sur l’affiche de l’exposition consacrée à Jacques Tati à la Cinémathèque française, ce dernier y avait perdu sa pipe au profit d’un ridicule moulin-à-vent. Métrobus, la régie publicitaire de la RATP, avait justifié ce subterfuge par la volonté d’interdire toute publicité indirecte pour le tabac, considérant cette approche conforme aux objectifs de la loi Evin. Enfin, cette interprétation extensive de la loi Evin s’est également manifestée dans la déformation de certaines affiches d’œuvres cinématographiques.
Par exemple, en 2009, Métrobus (encore) a mis en cause la présence de fumée de cigarettes sur l’affiche du film Gainsbourg, vie héroïque de Joann Sfar. De même, la représentation de Coco Chanel avec sa cigarette sur l’affiche du film d’Anne Fontaine Coco avant Chanel, a été refusée par la régie publicitaire de la RATP, celle-ci se prévalant une nouvelle fois du respect de la loi Evin. La jurisprudence commence seulement à donner tort à ces frileux interprètes du Code de la santé publique.