« - Mais maintenant les choses ont changé. J'ai le sentiment de partir à la dérive. Je veux faire quelque chose du temps qu'il me reste. Autre chose que te regarder boire.
- Est-ce que je suis quelque part dans ton story-board ?
- Pas vraiment. »
C'est l'heure des bilans pour Stella et Gerry, un vieux couple d'Irlandais du Nord installés en Ecosse, prof d'anglais et architecte à la retraite, en week-end à Amsterdam pour un Midwinter break (titre original) ausculté avec une remarquable acuité par leur compatriote Bernard MacLaverty. Parents d'un fils qui vit au Canada et grands-parents à distance, ces deux-là, mariés depuis des décennies et qui semblent vivre désormais moins ensemble que côte à côte, vont pendant trois jours de tourisme dans une ville étrangère glaciale, jouer avec l'hypothèse de se séparer.
Dans cette crise, elle est moteur - il l'appelle son « commandant de bord ». Elle n'est pas là uniquement pour visiter le Rijksmuseum et la Maison d'Anne Franck même si c'est au programme. Ce séjour est surtout pour cette catholique pratiquante l'occasion de se renseigner sur les modalités d'intégration dans une communauté de béguines, et de réfléchir à l'idée de quitter son mari pour « vivre une vie plus pieuse ». Lui, ignorant des motivations de sa femme, consacre de son côté presque toute son énergie à trouver des occasions de boire, à gérer l'approvisionnement de son Jameson, son whisky préféré, « Le Compagnon de route ». C'est un homme qui ne croit plus, un alcoolique doux que la boisson détend, « maintient à flot ». Alors que la prière est pour elle « une forme d'hygiène spirituelle. Quelque chose à faire matin et soir. Avant de dormir et au réveil. Une façon de ritualiser le monde ». Chacun, replié dans son refuge intérieur, affronte l'angoisse, s'interroge sur le sens à donner au reste de sa vie.
L'écrivain excelle à décrire les mille et un gestes qui font la routine à la fois affectueuse et distante, la complicité profonde de ce couple au long cours, encore nourrie après tout ce temps de pudeur et d'admiration. Leurs petits rituels du quotidien comme cette « Heure des bobos » imaginée par Stella pour « ne pas consacrer plus d'une heure par jour à leurs diverses afflictions ». MacLaverty regarde et écoute avec une méticuleuse attention ces deux partenaires à l'hiver de leur vie, en conflit avec leurs aspirations singulières, soudés pourtant par d'intenses souvenirs communs. Comment vieillit l'amour conjugal ? A quoi se raccrocher d'essentiel ? Ces questions ravivent aussi des blessures anciennes, et comme le dévoile peu à peu le récit, un passé intimement et tragiquement rattaché à l'histoire de l'Irlande du Nord, à ces trente années de guerre qui ont traumatisé leur pays. Car la politique et la foi sont au cœur de la crise existentielle de Stella et Gerry, liées pour le meilleur et pour le pire dans ces si profonds Jours d'hiver, élu « Livre de l'année » aux Irish Books Awards en 2017.
Jours d'hiver
Rivages
Tirage: 5 000 ex.
Prix: 21,90 euros ; 320 p.
ISBN: 9782743648664