Avant-critique Roman

Christophe Bigot, "Un autre m'attend ailleurs" (Éditions de la Martinière)

© Alexandre Isard

Christophe Bigot, "Un autre m'attend ailleurs" (Éditions de la Martinière)

Rentrée littéraire

Christophe Bigot met en fiction les dernières années de Marguerite Yourcenar et son amour pour Jerry Wilson.

Parution 23 août

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Par Jean-Claude Perrier
Créé le 20.08.2024 à 09h00

Le cavalier polonais. Tout les séparait. Elle aimait les femmes, lui les hommes. Elle était illustre, serait bientôt élue à l'Académie française. Écrivain, elle a produit une œuvre considérable, dont quelques chefs-d'œuvre, comme Mémoires d'Hadrien (Plon, 1951). Lui, rejeton en rupture de ban d'une famille esclavagiste de planteurs de coton de Dumas, Arkansas, était un touche-à-tout, ornithologue amateur, qui se rêvait artiste. Mais surtout, nouveaux Harold et Maud, ils avaient quarante-sept ans d'écart. Pourtant, lorsque Marguerite Yourcenar et Robert Gerard − dit Jerry − Wilson se rencontrent, en mai 1978, chez elle, à Petite Plaisance, Monts-Déserts, pour le tournage d'un documentaire, c'est un véritable coup de foudre, du moins de sa part à elle. Jerry est vaguement assistant de Maurice Dumay, le producteur, en fait son amant. Avec sa jeunesse et sa blondeur, il rappelle à Marguerite Le cavalier polonais, ce tableau de Rembrandt qu'elle a vu jadis et qu'elle aime plus que tout. Surtout, elle-même réincarnation de l'empereur philhellène Hadrien, elle croit avoir trouvé là son Antinoüs. Ils ne se quitteront plus jusqu'à la mort de Jerry, du sida, en 1986, à l'hôpital Laennec à Paris. Après Maurice, en 1982. On commençait alors à peine à voir apparaître le fléau dans la communauté gay, et à l'identifier.

Mais cette relation transgressive, pas tout à fait platonique tout du moins à ses débuts, la dernière de Marguerite après la mort en 1979 de sa compagne de vie et traductrice Grace Frick (elles s'étaient connues en 1937), fut tout sauf un long fleuve tranquille. D'abord, les deux protagonistes n'envisagent pas leur relation de la même façon. Amour pour elle, curiosité, intérêt, puis dégoût de son côté à lui. Ensuite, Jerry portait en lui le poison de l'autodestruction, détecté dès le début par les proches de Marguerite − mais elle les ignora−, et lorsqu'il avait bu, pouvait faire preuve de grossièreté, de violence. La vieille dame en fit plusieurs fois les frais, acceptant tout, même la présence de Daniel, le gigolo anglais, camé, le mauvais génie de Jerry, rencontré à Paris en 1984. Brutal, lui aussi.

Tout cela pourrait paraître sordide, cadrant si peu avec l'image marmoréenne que l'on garde de celle qui a écrit L'œuvre au noir. Il y eut pourtant, dans cette relation, des moments de bonheur. Jerry a entraîné Marguerite dans un tourbillon de voyages dont elle avait toujours rêvé, parvenant même à lui faire vaincre sa phobie de l'avion : Japon, Thaïlande, Inde (où elle aurait dû retourner fin 1987, mais la mort l'en a empêchée), Maghreb, Kenya (où elle subit un grave accident de circulation)... Et puis, ils feront deux livres ensemble, avec ses photos à lui, Blues et gospels (Gallimard, 1984) et La voix des choses (Gallimard, 1987). N'est-ce point là l'essentiel, plutôt que ce « misérable petit tas de secrets » − pour citer Malraux − qu'est toute vie d'écrivain ?

Christophe Bigot, minutieusement, en a fait un récit passionnant et terrible, où le lecteur a parfois l'impression de jouer les voyeurs. C'est la loi du roman vrai.

Christophe Bigot
Un autre m'attend ailleurs
La Martinière
Tirage: 5 000 ex.
Prix: 20 € ; 316 p.
ISBN: 9791040118435

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