19 septembre > Roman Brésil

Adriana Lisboa - Photo JULIE HARRIS/MÉTAILIÉ

« Fernando avait tellement bougé depuis qu’il était parti de chez lui qu’il ne se souvenait plus du chemin du retour […]. Et il ne se sentait pas partout chez lui, non, ça, c’était bon pour les citoyens du monde, ceux qui faisaient du voyage un sport […]. Non il ne se sentait pas partout chez lui, il se sentait nulle part chez lui. » Fernando, le Brésilien, a beaucoup bourlingué avant de s’installer dans une banlieue de Denver dans le Colorado. Agent de sécurité d’une bibliothèque municipale du centre-ville, il vivait seul depuis des années quand a débarqué de Rio Evangelina, dite Vanja, la fille adolescente de son ex-femme. Neuf ans plus tard, c’est elle la narratrice de leur histoire qui se souvient de son arrivée dans ce Far West désertique. Elle qui évoque avec une reconnaissance pudique l’homme qui l’a accueillie quand, à 13 ans, après la mort de sa mère, elle a décidé de partir à la recherche de son père, un Nord-Américain dont elle ne savait rien.

Mais dans Bleu corbeau, cette quête du père est relativement secondaire : ce qui est à l’œuvre et dont Adriana Lisboa dispose devant nous les pièces éparses, c’est la construction d’une identité, la recomposition d’une géographie sentimentale. Comme Fernando - ancien militant du Parti communiste du Brésil, formé aux techniques de la guérilla en Chine, combattant traqué en Amazonie dans les années 1970, barman dans un pub londonien… -, tous les protagonistes font leur vie loin de leur lieu de naissance : Carlos, le petit voisin salvadorien, est comme ses parents sans papiers, Vanja elle-même est née au Nouveau-Mexique où sa mère a vécu et où elle retrouve June, moitié Indienne moitié Anglaise, et Isabel la Portoricaine… Mais on ne rencontre aucun des clichés sur le mal du pays, la douleur de l’exil, la fabrication d’un chez soi, le fantasme du retour. Vanja qui pense sa nouvelle vie « dans un harmonieux chaos linguistique », en anglais, portugais et espagnol, est une sage à sa manière. Sa volonté pourtant ferme ne force rien. Elle prend ce qui vient, relie, associe le connu et l’inconnu : le bleu corbeau, la couleur des coquillages au fond de l’océan qui borde Copacabana, est aussi celle des corbeaux du Colorado dont la plaine fut autrefois une mer. Elle constate seulement : « Il se passe un phénomène curieux quand on reste longtemps loin de chez soi. L’idée que l’on a de ce chez soi - d’une ville ou d’un pays - se décolore comme une image en couleur exposée tous les jours au soleil. »

On avait déjà repéré il y a quatre ans, avec Des roses rouge vif, lauréat du prix Saramago en 2003, l’écrivaine née en 1970, désormais parmi les auteurs marquants de la littérature brésilienne contemporaine. Dans ce deuxième roman traduit en français, elle y affirme plus encore sa posture romanesque : ouverte, accueillante, souple, traversée de personnages denses et d’une calme sérénité.

Véronique Rossignol

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