Commençons par la cuistrerie. Dans Le temps retrouvé, Proust écrit : « Une œuvre où il y a des théories est comme un objet sur lequel on laisse la marque du prix. » Soit. Parmi les plus fins proustiens de ce temps, Charles Dantzig n'a sans doute pas pu ne pas penser à cette phrase du maître de Combray en commençant à élaborer son Théories de théories. Il fait avec cet ouvrage un retour fracassant dans le genre à la fois encyclopédique et musardant qui a valu à ses lecteurs quelques-uns de ses plus beaux livres, du Dictionnaire égoïste de la littérature mondiale à l'Encyclopédie capricieuse du tout et du rien. Certes, lire il sait (ô combien), vivre il s'y emploie, jouir il ne l'ignore pas, mais théoriser, pourquoi diable, lui qui fait de tout esprit de système un ennemi résolu à la tête d'une armée de trissotins ? C'est oublier que chez Dantzig, le diable se cache dans les détails comme dans les plis de ces costumes qu'il admire tant sur les tableaux des uns ou chez le tailleur des autres. Dans le cas qui nous occupe, « théorie » doit être comprise dans sa double acception, soit non seulement conceptuelle sur un sujet donné, mais aussi comme une succession de choses à la file composant in fine le plus gracieux des « marabout de ficelle » littéraires de ce temps.

De quoi s'agit-il vraiment ? De vagabondages. De chemins de traverse parcourus par l'auteur sur les traces de ses goûts et de ses dégoûts, aussi sûrs les uns que les autres. Soit quatre-vingt-quatorze théories sur presque tout et qui n'ont, le volume refermé, pas l'air de rien... Contrairement à ce que l'on pourrait craindre si l'on ne l'avait jamais lu auparavant, Dantzig n'assène rien : il propose, il divague joliment, il ose, insolent et libre. Une liberté d'enfants au fond, lorsque ceux-ci s'en croient privés. Il peut nous offrir (à titre d'exemple parmi les plus charmants) une théorie du marron, de la barbe, des salauds, de la conversation, de la consolation, du mot fin dans les livres ou du grand sérieux de l'ivresse de danser. Il ne fait jamais que dessiner un portrait chinois de lui-même avec la discrétion qui sied en la matière. En ce sens, ce livre-là, baguenaudant de loin en loin dans sa mémoire familiale, est peut-être le plus personnel et intime qu'il ait jamais livré. Pour le reste, on retrouve avec bonheur une érudition qui n'est jamais pédante mais presque joyeuse. Un vrai plaisir.