Un homme et une femme font l'amour. C'est dit. Par cinq pages muettes, érotiques et tendres en incipit. Et par d'autres au cœur du livre et encore après sa conclusion provisoire. Fantasme ou réalité ? Ils le font tout le temps d'une histoire qui se concentre sur une fin d'après-midi et une nuit. En toile de fond. Mais ce n'est pas de leur étreinte qu'il s'agit dans ce nouvel album d'Alfred, au titre clin d'œil à Visconti, mais d'une autre. Celle qui pourrait se nouer entre un autre homme et une autre femme, la courte cinquantaine, à la dérive dans le parc somptueux d'un vieil hôtel du sud de l'Italie, où Alfred revient six ans après son remarqué Come Prima (Delcourt, 2013).

Lui, Germano, arrivé tard après avoir raté une correspondance ferroviaire, s'y trouve en perdition faute d'avoir confirmé la chambre qu'il avait réservée et qui a été réattribuée à un couple d'invités au mariage qui occupe l'hôtel au complet. Elle, Elena, invitée à la fête, a de bonnes raisons de ne pas vraiment s'y intégrer. A chacun sa collection de casseroles, son cortège de désillusions. Pour lui, rêveur et poète, les échecs professionnels - son exploitation de groseilles bios a fait faillite - et les gaffes. Pour elle, les angoisses paralysantes, les amours contrariées. Alfred met en scène avec finesse la conjugaison de leurs émotions et de leurs hésitations, de leurs désirs et de leur anxiété dans un bal qui les fait se séparer et se retrouver au fil d'autres rencontres et de l'évolution de la fête.

Surtout, il y a le parc. Sous le crayon d'Alfred, dont le trait limpide s'inscrit dans une tradition franco-belge plutôt classique, il ne cesse, écrasé par la touffeur du jour, revigoré par la fraîcheur de la nuit ou dévasté par des pluies diluviennes, de se montrer sous de nouveaux jours. Avec lui, le dessinateur compose ses plus belles planches, magnifiant un lieu où tout peu se produire, le meilleur et le pire.