A travers une exposition «
Dominique Perrault - La Bibliothèque nationale de France Portrait d’un projet 1988 – 1998 » la BnF s'apprête à célébrer un chantier qui est loin de faire l'unanimité.
Volonté d'un homme politique sûr de lui et fraîchement réélu pour un second septennat, ce bâtiment qui fait la fierté d'une partie des architectes, a alimenté une conception mégalomaniaque du monde si loin de la conception actuelle de la politique. Le Président de la République choisit par son droit souverain un architecte qui reçoit cette grâce comme une onction éternelle. En tant qu'institution, la bibliothèque a payé un lourd tribu à l'architecture. Et le cas national a été largement reproduit dans nombre de grandes villes. Élus et architectes rejouant le duo national Mitterrand-Perrault à l'échelle locale.
Pourquoi célébrer ce chantier pharaonique qui impose pour si longtemps des choix faits par deux personnages si sûrs d'eux ? Est-ce à ce point une réussite ? Après tout, après 20 ans, n'aurait-il pas été possible de dresser un bilan contradictoire ? Que vaut l'architecture sans que le point de vue des usagers ou des citoyens n'aient voix au chapitre ?
Faut-il rappeler toutes les critiques adressées à juste titre à ce bâtiment ? Conservation des documents, système de circulation des documents, absence de connexion au métro, revêtement glissant,
escalier vertigineux, absence de visibilité de la lecture, volumes gâchés, manque de lumière naturelle pour le travail, absence de modularité des espaces, etc. (liste hélas non exhaustive). On objectera que l'institution consacrera une après-midi d'étude à «
La Bnf 20 ans après » au cours de laquelle 1h30 sera consacrée à « un bâtiment en débat ? ». Cela laissera 15 minutes à
Pierre Nora pour répéter les critiques fortes qu'il adresse depuis si longtemps à cette réalisation. En réalité, cela valorisera l'artiste et son geste contre les critiques bassement citoyennes et légitimes qui peuvent leur être adressées. Dominique Perrault relate d'ailleurs que
Mitterrand qualifiait les critiques du projet de « sots ». Il pourra alors délivrer son génie à l'occasion d'une master classe qui suivra.
La BnF célèbre donc non seulement l’œuvre et aussi l'artiste mais ce n'est pas encore assez. Elle lui a confié la conception même de l'exposition ! Comment être mieux célébrer que par soi-même ? Avec une telle décision que reste-t-il du projet intellectuel de l'indépendance de la pensée que la bibliothèque incarne ? A quoi bon vouloir tenir Google à distance ?
Gallica, la réalisation la plus réussie...
Bien sûr il était nécessaire de créer un nouvel établissement pour la BnF dans les années 90 ! Mais le projet retenu n'était pas bon et sa célébration ne le rendra pas meilleur. Loin de faire œuvre d'histoire au sens scientifique, la BnF se livre à un regrettable exercice d'auto-célébration sans recul critique. Elle perd l'occasion de conduire un nécessaire travail d'inventaire et de marquer ainsi son appartenance à son époque. L'aristocratie a pris fin, la République monarchique dans laquelle le peuple pouvait s'exprimer tous les sept ans en laissant la voie libre aux courtisans est largement derrière nous (mais il en reste visiblement un vestige). L'heure est venue pour les institutions de montrer qu'elles prennent part à la vie de la collectivité et qu'elles rendent services aux citoyens. Vue son histoire et son retard sur ce plan, c'est à cela que la BnF devrait se consacrer plutôt que d'alimenter une vision du monde morte avec le projet qu'elle célèbre. D'ailleurs Gallica fête ses 20 ans et c'est là une réalisation plus réussie.
Plutôt que d'alimenter la mégalomanie, la BnF aurait pu « oublier » de célébrer cet événement en un silence éloquent. A la place, elle aurait pu, par exemples :
- mettre en avant la richesse des architectures récentes des bibliothèques pensées avec leurs publics sur tout le territoire.
- Mettre en valeur des auteures qui alimentent les lectures de millions de Français tout en faisant preuve de discrétion et d'humilité. Je pense à Dominique de Saint Mars ou à Françoise Bourdin qui figurent tout en haut du classement des auteurs les plus empruntés en bibliothèques.
Bien sûr, la BnF aurait pu inviter Dominique Perrault à l'inauguration de telles réalisations...