"La cruauté gratuite, le sang absurde, la mort irrévocable : j'ai foudroyé le poste de police comme plus tard, je foudroierais le tribunal. La justice humaine n'est pas faite pour des cas tels que moi. Elle n'y résiste pas. Ses pauvres mots ne veulent plus rien dire." Celui qui parle est le prévenu qui vient d'être arrêté, il a déjà raconté le double homicide de ses parents, il tue à l'arme blanche, il se nomme tout le long de cette fiction de Fanny Taillandier : le monstre. L'atrocité de ses meurtres et la froideur de leur récit ont défrayé la chronique, l'opinion s'en est émue et on a même débattu pour son cas du rétablissement de la peine de mort. Mais le public en veut toujours plus car "sans monstre, pas de spectacle". Debord a eu raison mais son intuition était en deçà de la réalité du show permanent dont se regorge une société affamée de sensations fortes. Catharsis de la tragédie, direz-vous. Noble expression pour dire que les gens ont troqué la pornographie sanguinaire contre le morne ennui de leur quotidien et les mesquines forfaitures de la vie sociale. A travers ces Confessions du monstre, l'auteure fait entendre sa propre critique du système : "Les guerres se vendent bien chez les pauvres et au cinéma. Les hommes de ce continent n'y veulent plus prendre part ; ils préfèrent prendre un travail assommant pour s'offrir à crédit un home cinéma, et retrouver l'immémorial frisson en picorant une part de pizza avant d'aller dormir. Les tâches assommantes, les crédits à la consommation, favorisent bien plus le libre-échange qu'une véritable guerre." La dimension allégorique fait partie du protocole : le monstre est issu de la classe moyenne qui vit à Banlieue, lui-même travaille à Inc., compagnie sise à City, etc. Mais si la thèse l'emporte sur l'intrigue, ce défaut véniel est rédimé par l'énergie d'une langue qui claque. Contrairement au Raskolnikov de Crime et châtiment de Dostoïevski, le protagoniste n'essaie pas de prouver sa surhumanité nietzschéenne, il ne croit en rien sauf à "la baise" - le sexe sans la reproduction. Quand son alter ego érotique, Doña Sol, tombe enceinte, rien ne va plus.
Catharsis de la tragédie
Fanny Taillandier, collaboratrice à Livres Hebdo, signe son premier roman. Une diatribe contre le système proférée par un tueur psychopathe.