Après plusieurs années de retrait commercial, notamment provoqué par la prolifération du sexe sur Internet, la bande dessinée érotique a repris du poil de la bête. Les succès successifs de trois titres au contenu explicite : Fraise et chocolat d’Aurélia Aurita (Les Impressions nouvelles, t. 1 en 2006 ; t. 2 en 2007) (1), l’album collectif Premières fois ainsi que Filles perdues d’Alan Moore (2), tous deux chez Delcourt début 2008, n’y sont pas étrangers. Saisissant ce signal positif du marché, les éditeurs en ont profité pour ouvrir un nouveau chapitre érotique en commençant un travail de remise en avant des œuvres patrimoniales en sommeil. En 2009, Delcourt a lancé la collection « Erotix », dirigée par Vincent Bernière. Elle héberge des ouvrages qui ont marqué l’histoire du genre comme Histoire d’O et Emmanuelle de Guido Crepax, ou Les 110 pilules de Magnus. De son côté, Glénat s’est lancé dans la réédition de l’œuvre de Milo Manara. Aujourd’hui, les éditeurs poursuivent ce travail de redécouverte des auteurs et dessinateurs phares de la bande dessinée érotique. Pour Vincent Bernière, « la BD érotique est en train de vivre un vrai moment de revival avec peu de titres mais souvent de qualité ». Dans cette veine patrimoniale, Delcourt annonce la parution de LaVénus à la fourrure de Guido Crepax, d’après Leopold von Sacher-Masoch. De son côté, Glénat publiera en 2013, sous la bannière Drugstore, Dodo : chronique d’une maison close, une réédition de l’album de Georges Lévis.

Peu de créations.

Si la plupart des éditeurs préfèrent jouer sur les valeurs sûres, certains tentent de faire connaître de nouveaux auteurs français ou étrangers. Créé il y a une dizaine d’années, le label Dynamite de La Musardine fait dans une BD plutôt « hard ». Sur la douzaine de titres publiés chaque année, 85 % sont des achats de droits à l’étranger. Parmi les auteurs phares, l’Italienne Giovanna Casotto et le Britannique Erich von Götha. « Nous allons aussi beaucoup chercher de nouveaux auteurs en Espagne qui était jusqu’à il y a peu le seul pays à avoir encore une revue de BD érotique, Cupula, laboratoire pour tester les séries. En France, il n’y a quasiment pas de foyer de création », estime Anne Hautecoeur, directrice éditoriale de La Musardine. Pour exemple, Igor Boccère, l’un des auteurs de Dynamite présenté à Angoulême cette année, était un Français découvert… dans un magazine espagnol !

Présent sur le segment depuis 2007, Tabou s’attache de son côté à faire surgir de nouveaux talents avec succès. « Cela fait quelques années que la bande dessinée érotique repart, mais ce serait mieux si les libraires faisaient preuve de plus d’imagination et s’ils donnaient leur chance aux nouveaux auteurs au lieu de s’accrocher aux classiques. On ne va pas ressusciter les morts toute la vie, nous avons besoin de nourrir le marché de vraies nouveautés dont émergeront les classiques de demain », estime Thierry Play, directeur de Tabou. Parmi les titres phares de la maison, citons la saga sadomaso Discipline de Xavier Duvet, Féminisation du même auteur et Le journal d’une soubrette.

Nouveaux acteurs.

Bénéficiant de la vague d’intérêt pour l’érotique suscitée par le phénomène Fifty shades, la bande dessinée coquine que se partageaient jusqu’à présent Tabou, Dynamite, Delcourt et Glénat attire de nouveaux explorateurs. Associés depuis octobre dans le label Olivius, L’Olivier et Cornélius - l’éditeur du remarqué Vingt-trois prostituées de l’Américain Chester Brown - y ont publié, parmi leurs premiers titres, Cul nul. De leur côté, Les Requins marteaux ont lancé une nouvelle collection au format poche, « BD cul », qui met en lumière le talent coquin de dessinateurs contemporains reconnus comme Bastien Vivès, Nine Antico, Hugues Micol ou Aude Picault.

Nouvelle dans le paysage de la BD française, Page 69 a été créé au début de 2013 par Jean-Paul Moulin. Lors d’une discussion avec l’auteur de bandes dessinées et de dessins érotiques Alex Varenne, l’éditeur a découvert l’existence d’une partie du travail de celui-ci qui n’avait pas été publiée en albums et l’a compilée dans Hot dreams, édité en ce début d’année. A terme, Page 69 espère proposer entre 4 et 5 titres par an, signés pour la plupart par de nouveaux talents. Un projet rendu possible notamment grâce à un accord de prépublication avec le magazine L’Immanquable qui lui permettra de financer le lancement de nouveaux projets inédits avec des artistes français, chinois ou américains. <

(1) LH 703, du 28.9.2007, p. 32.

(2) LH 725, du 14.3.2008, p. 47.

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