« Ce que nous avons fait au lit » est la traduction littérale du titre anglais de cet essai original qui se propose de raconter « une histoire horizontale de l'humanité », c'est-à-dire tout ce que le genre humain a fait dans ce théâtre plus ou moins douillet, dans cet espace où se sont jouées farces, romances et tragédies. Naître, manger, gouverner, dormir, rêver, aimer, prier, mourir : le lit est le réceptacle de tout cela à travers les âges. Cela permet aux auteurs, lui anthropologue, elle archéologue, de distiller des chapitres alertes et bourrés d'anecdotes sur l'histoire du lit en tant que meuble, mais aussi de traiter du sommeil et de sa régulation par les médecins en lien avec le rythme du travail depuis la révolution industrielle. Bien se reposer est devenu un impératif pour être productif. La consommation toujours en hausse des somnifères est un marqueur de cette évolution matelassière.
On se souvient du beau livre de Michelle Perrot, Histoire de chambres (Seuil, 2009) dans lequel elle démontrait que cette pièce était le creuset de la culture occidentale. Brian Fagan et Nadia Durrani ont resserré le propos sur le seul lit tout en élargissant le champ sémantique de son étude. Ce n'est pas seulement le lit, mais tout ce à quoi il renvoie qui est traité. L'histoire s'aborde souvent horizontalement, ne serait-ce que par l'image de la frise chronologique, mais rarement au sens strict. Pour les auteurs, le lit autorise une autre observation du passé. « La formation de couples est peut-être un phénomène relativement récent dans l'évolution de l'espèce humaine, et il est fascinant d'imaginer que des techniques telles que la confection du feu et du lit ont joué un rôle dans son apparition. »
A lire au lit
Nous passons un tiers de notre existence allongés, pas toujours à dormir. Le lit, qui apparaît il y a 70 000 ans dans sa forme élémentaire − un matelas de feuilles posé à terre -, devient un objet de pouvoir où les rois comme Saint-Louis faisaient la loi − d'où l'expression « lit de justice » - et où des politiciens comme Churchill donnaient des ordres pour gagner la guerre. Et que dire du lit de camp de Napoléon sur les champs de bataille ou celui plus pacifique de John Lennon et Yoko Ono. C'est en effet bien là que les choses se passent.
Mais le lit, rappellent les auteurs, c'est aussi la crainte du trépas, avec les proches qui, dans les trois religions monothéistes, se retrouvent autour du défunt pour prier. Sans doute est-ce pour cette raison, par peur de la mort, que Rembrandt dormait quasiment à la verticale.
Cette histoire, à lire au lit évidemment tout en sachant qu'elle vous empêchera de dormir, chemine dans les époques et les civilisations. Elle ouvre d'intéressantes perspectives plumardières, notamment sur l'apparition du concept de vie privée au XIXe siècle où le lit devient espace intime, intimité qui disparaît de nouveau avec internet et les futurs lits connectés. À bien des égards, cet essai donne raison à Cocteau : « vivre est une chute horizontale ».
Une histoire horizontale de l'humanité Traduit de l'anglais (États-Unis) par Hélène Collon
Albin Michel
Tirage: 8 000 ex.
Prix: 21,90 € ; 294 p.
ISBN: 9782226449177