Jean, 78 ans, est un écrivain qui n'écrit plus, et vit en reclus dans le couvent déserté qu'il a acheté en Normandie. Riche et célèbre, il a obtenu le prix Goncourt en 1978 pour son roman Platine, qu'il a lui-même adapté au cinéma. Platine, c'est le nom de l'héroïne, une chanteuse de rock qu'il avait rencontrée à New York, en 1976, dans un bar des bas-fonds de Bowery, le CBGB, fréquenté par toute l'intelligentsia de l'époque, Burroughs, Warhol, Nico et d'autres, et pour qui il avait eu un véritable coup de foudre, un de ceux dont on ne se remet jamais. Platine, devenue depuis « une icône, entre Kurt et Marilyn », inspirée de la Debbie Harry de Blondie, il avait pris deux ans pour la mettre en roman. Et puis il est retourné à New York, en 1980, pour la retrouver, et ils ont vécu une relation d'amour fou durant des années, entre deux tournées, deux disques, deux concerts. Deux brouilles et deux ruptures, aussi, toujours suivies de retrouvailles torrides, jusqu'à la séparation définitive. « Je t'aime tout le temps, mais pas toujours », lui dit-elle joliment. Jean ne s'en est jamais remis, et les chanteuses blondes lui font toujours le même effet.
C'est comme cela qu'un soir, où, de retour de voyage, l'écrivain était passé au PMU de son village, il avait assisté à la prestation d'une chanteuse de 23 ans, Marie, accompagnée de musiciens minots de pas plus de 17 ans. Le concert était médiocre, mais la chanteuse punk, (fausse) blonde, l'avait impressionné. Notamment par son culot : le lendemain, elle était venue chez lui, troubler sa retraite, pour lui demander de lui écrire un texte de chanson. « Revenez dans trois jours », lui dit Jean. Elle est en fait revenue tous les jours, parce qu'au lieu d'un seul texte, c'est tout un livre, son dernier, qu'il a décidé d'écrire sur elle. Elle lui raconte sa triste vie, avec son copain qui finira par la virer de chez eux, et il écrit, à chaud, au fil de la plume, sans se relire. Elle finit par s'installer chez lui, l'accompagne même à un salon du livre dont il est l'invité d'honneur. Et où il disparaît sans prévenir. Jean sait qu'il arrive au bout de son parcours, et a décidé d'organiser sa sortie de scène, non sans panache.
Mêlant les deux blondes, les deux histoires, les Etats-Unis et la France, le passé et le présent, Julien Decoin se fait le chroniqueur de Jean, de sa vie à la fois glorieuse et vide, de ses fantasmes. Il raconte aussi bien son idylle avec Platine que le tournage du film qui porte son nom, et où elle a accepté de jouer, « par amour ». Un film chaste, avec drogues et rock'n'roll, mais sans sexe : un seul baiser, à la fin, inoubliable. Avec une grande virtuosité dans la composition, le jeune écrivain convoque dans ce troisième roman truffé de clins d'œil toutes ses passions : le cinéma (dans le civil, il est réalisateur), la musique, et, par-dessus tout, la littérature.
Platines
Seuil
Tirage: 4 000 ex.
Prix: 18 euros ; 240 p.
ISBN: 9782021404418