Jour de semaine ordinaire à Sotteville, en Seine-Maritime. Une quinzaine de personnes attendent devant les portes encore fermées de la bibliothèque : trois ados s'apprêtent à aller surfer sur Internet, une jeune femme vient se faire aider pour rédiger une lettre de candidature, une grand-mère et sa petite-fille sont venues emprunter des livres et un jeu de société... et voilà qu'au moment où les portes s'ouvrent un homme pressé arrête sa voiture devant l'entrée et glisse 3 livres et 2 DVD dans la boîte de retour extérieure.
Depuis son ouverture en septembre 2004, le bel équipement à la façade en brique, signé Henri Gaudin, bien intégré dans cette petite ville de la banlieue de Rouen (30 000 habitants), continue d'attirer 30 % de la population. "Soyons honnêtes, précise la directrice, Sylvie Auzou, nous avions dépassé les 12 000 inscrits dès la première année, c'était la folie ! Mais ces derniers temps nous tournons autour de 10 000 inscrits et de 29 000 prêts par an."
Même relative, cette stabilité détonne avec la baisse sensible enregistrée dans nombre de bibliothèques françaises. On peut y voir plusieurs raisons : d'abord, c'est un endroit qui a été pensé. Deux ans avant sa construction, la ville avait eu l'intelligence de consulter les habitants (1). "Découverte, apprentissage, famille, mémoire : ce sont les mots clefs qui étaient ressortis de ce sondage, explique Sylvie Auzou, et qui nous ont guidés dans la conception de l'établissement." Dans cette ville de tradition cheminote et d'éducation populaire, il s'agissait pour la majorité des gens de découvrir et de s'instruire. "La notion de solidarité avait été très forte aussi, ajoute la directrice, les gens demandaient ce qui était onéreux à l'achat : des encyclopédies et dictionnaires ainsi que des jeux de société. Nous en avons plus de 600 en prêt." Fidèle à sa devise "accueil et proximité", la municipalité continue d'octroyer à la lecture publique le même budget de fonctionnement alors que les autres services de la Ville doivent se serrer la ceinture.
Enfin, l'atout essentiel de la bibliothèque, c'est le pragmatisme de Sylvie Auzou et de son équipe. "Des petites choses, juste du bon sens, dit-elle. Afin de faciliter le dialogue, nous portons un badge et nous avons décidé de nous passer de chariots pour ranger les livres, tout simplement parce qu'il est plus simple de converser avec les gens si on a quelques livres dans les bras." La boîte de retour extérieure est une confection artisanale, aujourd'hui très utilisée par les lecteurs. "Cela dit, nous nous interrogeons sur l'avenir, conclut Sylvie Auzou, notre métier évolue sans arrêt. En ce qui concerne les animations par exemple, il y a encore cinq ans, nous arrivions avec notre expertise, on était dans le registre de la prescription. Aujourd'hui nous n'avons plus cette approche pédagogique, les publics deviennent acteurs, arrivent avec leurs idées pour débattre, leurs instruments pour improviser de la musique, ou leur confiture maison pour faire goûter leurs tartines... »
(1) Voir "Sotteville écoute les Sottevillais" dans LH 436 du 7.9.2001, p.76.