Bien sûr, les plus âgés, les mieux informés, ne l'ignoraient pas, mais pour la plupart, il fallut attendre la parution du grand roman uchronique de Philip Roth, Le complot contre l'Amérique (Gallimard, 2006), pour rappeler les liens étroits entretenus par cette absolue icône américaine que fut Charles Lindbergh avec les forces les plus réactionnaires et souvent antisémites de son pays, durant les années 1930 et jusqu'à Pearl Harbor au moins. Tout l'enjeu de la belle biographie littéraire que nous offre aujourd'hui Benoît Heimermann, sans jamais se départir d'une vraie empathie pour son sujet, est donc de révéler combien ce moment d'égarement n'était que la suite logique d'une trajectoire personnelle et intellectuelle, et quel en fut le prolongement jusqu'à la mort de Lindbergh en 1974.

En effet, cet homme, qui fut un temps le plus célèbre du monde sans doute, volontiers contemplatif et qui ne goûtait rien tant que le silence, l'étude et la solitude (ou la plus parcimonieuse et choisie des compagnies) eut une vie où tout ne fut finalement que bruit et fureur. Tournée triomphale et mondiale après sa traversée de l'Atlantique, assassinat de son premier enfant, fourvoiement idéologique sinon politique, notamment provoqué par de fréquents séjours dans l'Allemagne nazie d'avant Munich (à la demande il est vrai, du Département d'État américain), rédemption sur le front du Pacifique, engagement plus tard dans la cause écologique qui ne va pas non plus sans de vraies ambiguïtés, plutôt puritain mais père d'une vaste progéniture illégitime : une vie comme un roman.

C'est celui-ci que nous donne à lire Heimermann, qui en dessine les ruptures comme les cohérences, fussent-elles les plus douteuses. Avec la plume du formidable portraitiste et reporter qu'il fut longtemps, l'auteur nous amène jusque sur une île bretonne désolée dont Lindbergh se porta propriétaire, et où il croit distinguer quelque chose comme la clé des secrets de l'aviateur. Sa femme Anne, Saint-Exupéry ou le sulfureux docteur Alexis Carrel, complètent le tableau. Beau et terrible.