Avant-critique Roman

Ben Lerner, "L'école de Topeka" (Christian Bourgois) : Une adolescence sans fin

Lerner Ben - Photo © Catherine-Barnett

Ben Lerner, "L'école de Topeka" (Christian Bourgois) : Une adolescence sans fin

Retraçant le parcours d'un petit génie des mots, Ben Lerner montre comment de simple outil, le langage peut devenir une arme de manipulation massive.

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Par Laëtitia Favro
Créé le 05.09.2022 à 14h00

Topeka, capitale de l'État du Kansas. À 17 ans, Adam Gordon est un as de l'art oratoire et poète à ses heures perdues. Élevé par des parents psychiatres, il est promis à un brillant avenir, comme le laisse entendre Bob Dole, alors candidat à la présidence face à Bill Clinton, en marge du championnat national de débat auquel Adam participe. « Vous êtes les futurs leaders de l'Amérique et je suis très heureux de vous voir tous ici améliorer vos capacités de communication, de persuasion. C'est si important. Dans notre démocratie. » Une démocratie dont Ben Lerner pointe les dérives, de la masculinité toxique à l'éreintement du langage, devenu, pour celui qui en maîtrise les codes, une arme faite pour imposer ses idées sans tenir compte de celles de son interlocuteur. « L'Amérique est une adolescence sans fin » martèle l'écrivain, mettant en lumière cette crise identitaire que l'homme blanc traverse dans les années 1990, et qui conduira selon Lerner à l'élection de Donald Trump. En témoignent la violence latente derrière les façades de Topeka et le dernier chapitre du livre, dans lequel Adam assiste en 2019 à une manifestation dénonçant la politique de séparation des familles de l'administration Trump. Si en 1996 la réélection de Bill Clinton et la victoire des démocrates semblaient le signe « que le conservatisme culturel cédait, était sur le point de céder, la place au règne de baby-boomers plus progressistes », l'histoire révélera le visage d'une nation prête à céder au conservatisme - comme le démontre la récente décision de la Cour suprême des États-Unis de révoquer le droit à l'avortement.En parallèle de la trajectoire d'Adam, le récit, non linéaire, suit celle de Darren, mascotte et souffre-douleur des mâles alpha du lycée, qui finira par commettre l'irréparable. Alors qu'Adam a grandi dans un milieu où le langage est source de pouvoir, Darren l'inadapté a recours à la violence pour s'exprimer.

L'homme qui parle est une figure récurrente sous la plume de Ben Lerner qui, grâce à la fiction, analyse le contenu de ses paroles et ce qu'elles disent de l'évolution (ou des régressions) de nos sociétés. Empreint d'éléments autobiographiques, L'école de Topeka nous prévient contre les dangers d'une rhétorique qui divise pour mieux permettre à ceux qui la maîtrise de régner.

Ben Lerner
L'école de Topeka Traduit de l'anglais (États-Unis) par Jakuta Alikavazovic
Christian Bourgois
Tirage: 5 000 ex.
Prix: 24,90 € ; 420 p.
ISBN: 9782267044577

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