Sa vie est pour ainsi dire bornée par deux coupes. La première victoire des Bleus en 1998 et la seconde deux décennies plus tard lorsque l'équipe de France remporte à nouveau le trophée mondial. Deux victoires ? Pour Nour, deux défaites plutôt : sa naissance dans un milieu pourri et le décès de son père. Saïd meurt dans une France en liesse. Nour a vingt ans et ne voit pas ce qu'elle va devenir sans ce footballeur raté venu d'Algérie, qui l'a élevée seule. De rendez-vous à Pôle Emploi en programmes de réinsertion qui ne débouchent sur rien, la jeune fille tourne en rond, n'envisage pas la moindre perspective à Cerbère, bled d'Occitanie où Saïd avait échoué. Elle termine un contrat à mi-temps dans un McDonald, sis en bord de route, « sur la cinquante-trois », où elle vaque au service des hamburgers frites et au nettoyage du fast-food-parking rebaptisé « McDrive ».

Nour (« lumière » en arabe), la mal-nommée, n'irradie pas grand-chose sinon une colère noire contre cette réalité autour d'elle, cette attente existentielle d'un vrai ciel bleu, d'un grand amour. Dans la vie de Nour, de plaisir aucun, si ce n'est celui qu'elle se donne. Nour se masturbe beaucoup et partout. A la pause, elle enfourche sa mobylette, direction le bunker isolé où elle s'adonne à ses séances solitaires : « La houle aux artères, aux muscles, à l'ossature et aux nerfs qui la soutiennent, la houle au cœur. La houle au pelvis. Le clitoris même, incendié, chair bombée, exaltée, monstrueuse, une plaie béante qui m'assiège et me repose. Mon sexe dévore les bruits. Le monde se détourne. Le dedans se défait. J'orchestre ma débâcle, sur le bitume anthracite où je tombe et jouis. »

Dans son cinquième roman,Onanisme, Justine Bo nous fait traverserd'une plume énergique et déjantée le désert intérieur de son héroïne tout en faisant défiler un décor de France périphérique peuplé de personnages hauts en couleur : Crâne d'obus, « l'associé » chauve et raciste de Saïd, et sa plantureuse épouse Ogive, la voisine Simone aux ongles vernis qui tire le tarot, les clients du McDrive dont Ulysse, épris d'elle, qui lui déclame des vers en tétant son Coca et boulottant des sucreries, Jonas le parfait support de son autoérotisme. Un jour, Nour découvre un pistolet dans le bunker, et de retour chez elle un mort : Saïd, il faut organiser les funérailles sans argent. McDo, ces têtes d'abrutis qui viennent rendre hommage, elle ne décolère pas, âme en feu etgunen poche. Ire logorrhéique, baroquisme sexuel, burlesque profond... Onanismerappelle Guyotat, Morgiève, aussi Jauffret. Non, c'est très singulier, juste Bo.