Livres Hebdo - Avec le vote du Sénat sur le double sujet des frais de port et de l’accord auteurs-éditeurs, vous avez bouclé le programme annoncé en 2012. Que reste-t-il à faire dans le livre ?
Aurélie Filippetti - Un certain nombre des engagements pris l’an dernier ont été tenus, aussi bien sur le médiateur du livre, l’assermentation des agents du ministère, le contrat auteurs-éditeurs, la loi sur les frais de port, le plan d’aide financier à la librairie, une réorientation du CNL vers le soutien à la librairie. Dans l’immédiat, nous accompagnons la reprise des librairies Chapitre. J’ai mobilisé tous les services des Drac pour aller chercher des repreneurs, les préfets sont mobilisés en démarche proactive. Il y a actuellement 16 reprises, ce qui fait environ 300 emplois sauvés, et nous en attendons d’autres. Une vingtaine de dossiers sont à l’étude.
Les 4 millions d’euros du fonds de reprise du CNL sont-ils entièrement réservés aux librairies Chapitre ?
Non, ces fonds ont vocation à accompagner d’autres reprises.
La loi sur le médiateur n’attend plus que la seconde lecture au Sénat. L’avez-vous déjà choisi ?
La loi sur la consommation qui instaure le médiateur sera discutée au Sénat courant janvier, ce qui devrait nous permettre de le nommer avant l’été. Ce sera une personnalité totalement indépendante, avec un profil de grand commis de l’Etat, qui connaît le domaine du livre, et est expérimenté dans la négociation entre les différents maillons de la chaîne. Les agents assermentés chargés de surveiller l’application de la loi Lang prévus par le dispositif seront les fonctionnaires du Service du livre et de la lecture qui pourront constater eux-mêmes sur auto-saisine, ou sur demande, des infractions à la loi sur le prix du livre, par exemple sur la vente de livres d’occasion présentés comme neufs et venir en appui de démarches entreprises par des professionnels du livre. Leur rôle sera similaire à celui des fonctionnaires de la DGCCRF (1) qui font respecter la loi sur la concurrence et la consommation. Ils entreront en fonction après la promulgation de la loi, dans le courant du premier semestre.
Dans le plan de soutien à la librairie, comment voyez-vous l’articulation de l’aide annoncée par les éditeurs avec celle des pouvoirs publics ?
Les éditeurs devraient échelonner le versement des 7 millions qu’ils ont promis sur les exercices en cours, selon nos informations, et Vincent Montagne me confirme qu’il n’y a pas de problème. En revanche, Amazon ne veut toujours pas participer, alors que tout le monde a été sollicité. J’aurais d’ailleurs préféré que ce principe de solidarité soit obligatoire pour tous les maillons de la chaîne.
Concernant l’accord auteurs-éditeurs sur le nouveau contrat d’édition que vient de voter le Sénat, quand sera publiée l’ordonnance modifiant le CPI ?
Le texte doit revenir à l’Assemblée, j’espère à la mi-février avant la pause des élections municipales. Dès que la loi sera votée dans les mêmes termes par les deux assemblées, je pourrai prendre cette ordonnance. Là aussi nous envisageons une mise en œuvre au premier semestre, et dans les termes de l’équilibre trouvé entre les auteurs et les éditeurs.
Si tous les auteurs sont satisfaits de cet accord, ce n’est pas la même unanimité à propos de ReLire. Où en est ce dossier ?
Des auteurs ont déposé une question prioritaire de constitutionnalité, que le Conseil d’Etat a transmise au Conseil constitutionnel. Nous aurons un avis de la plus haute juridiction de l’Etat, ce qui permettra de clarifier le droit, sur ce texte voté à l’unanimité en 2011. Il poursuit l’objectif de développer l’offre légale de livres, en respectant le principe de la rémunération des auteurs via la gestion collective, il n’y a donc aucune spoliation. Les auteurs peuvent sortir du dispositif. Sur la première liste de 63 000 ouvrages publiés en mars dernier, 1 % seulement des titres ont été repris par leurs auteurs, c’est donc un mécanisme qui semble satisfaisant.
N’est-ce pas toutefois une organisation très complexe ?
Ce projet a une vocation patrimoniale. Il s’agit bien de préserver notre patrimoine littéraire de demain. Il a aussi une dimension commerciale, puisque certains ouvrages retrouveront une nouvelle vie. C’est pourquoi il y a un financement public d’un côté et un financement privé de l’autre, via la Caisse des dépôts, la BNF qui participe à la numérisation et le Cercle de la librairie. La gestion collective est la meilleure solution, on ne peut pas envisager des contrats individuels pour ces 63 000 ouvrages. Et les auteurs auront une rémunération minimale de 1 euro par titre vendu, ce qui est très favorable pour des livres qui ne coûteront que quelques euros.
Quelle est la marge de manœuvre de la France pour faire passer dans la réglementation européenne la TVA réduite sur le livre numérique ?
La France ne changera pas sa position : nous défendons la neutralité technologique en matière fiscale, avec une TVA identique sur le livre papier et numérique, comme pour la presse en ligne et papier. C’est une position très cohérente. L’Allemagne, qui était notre principal opposant, nous a rejoint dans le cadre de la nouvelle coalition qui gouverne le pays. C’est un appui de poids dans les négociations européennes à venir. Bernard Cazeneuve [ministre délégué au Budget] est entré en discussion avec le commissaire Semeta, à la demande du président de la République. Nous avons tous les moyens de faire valoir le bien-fondé de notre position.
Et où en est l’enquête fiscale concernant Amazon ?
Elle est couverte par le secret fiscal. Mais il faudra qu’on trouve le moyen d’avoir une véritable fiscalité sur les entreprises de l’Internet en fonction de leur chiffre d’affaires réel dans un pays. Pour le moment, ces sociétés paient des impôts qui n’ont rien à voir avec la réalité de leur activité, quel que soit le pays où elles se trouvent - c’est une préoccupation partagée par la Grande-Bretagne, l’Allemagne, les Etats-Unis.
La Commission européenne envisage de nouvelles consultations en 2014 sur le droit de prêt numérique. Quelle est votre position sur ce dossier ?
Ce doit être dans les objectifs de l’année : je souhaite que, d’ici à l’été, il y ait une vraie accessibilité au livre numérique dans les bibliothèques. 13 % d’entre elles prêtent des livres numériques, et 15 % ont un service de consultation en ligne. La BPI doit jouer un rôle moteur dans ce sens, en tant que coordinateur de notre réseau de lecture publique. Aujourd’hui, il y a 13 bibliothèques numériques de références, 16 villes sont conventionnées, dont Grenoble tout récemment et des projets à Caen, Brest Cambrai, Carcassonne…
Et à propos de la BPI, qui remplacera Patrick Bazin à la direction ?
Je peux vous annoncer la nomination de Christine Carrier, actuellement directrice des bibliothèques de Grenoble. Elle arrive avec le projet de travailler sur la diversification des publics, sur le lien entre la BPI et tout le réseau de la lecture publique en France. A Grenoble, elle a mis en place la bibliothèque numérique de référence, elle pourra porter ce rôle pilote de la BPI.
Comment avez-vous réussi à convaincre le ministère des Finances de mobiliser son inspection générale sur un rapport visant à démontrer le poids économique de la culture ?
Ça a été long, mais j’y tenais absolument. L’IGF n’a pas forcément l’habitude de parler de la culture dans des termes positifs et économiques. Mais c’est avec un raisonnement économique qu’on peut ensuite légitimer l’intervention publique auprès de ceux qui sont chargés de contrôler la dépense, en leur montrant que la culture ce n’est pas que des subventions, c’est aussi de l’activité économique sur notre territoire, de l’attractivité, de la création d’emploi, de la croissance. Sur le cercle le plus étroit, nous sommes à 670 000 emplois, et 3,2 % de la richesse créée. C’est constitutif de la valeur de notre pays. Les comparaisons entre secteurs me semblaient aussi intéressantes. Le livre est par exemple un des plus créateurs de richesse, et avec le moins d’intervention publique, ce qui montre bien son dynamisme. Quand la France s’exprime sur la politique du livre, elle est écoutée. Nous avons un rôle d’avant-garde en politique culturelle.
Ce rapport aura-t-il des conséquences concrètes ?
Ce sera aussi un support pour la définition du prochain budget triennal. La culture peut être un levier pour faire redémarrer la croissance. Les emplois dans ce secteur sont aussi très attractifs pour les jeunes, avec des perspectives de carrière, et ouverts à des gens d’horizons très différents. C’est une économie de prototypes, mais où tout est possible, et où la France montre son inventivité. Mais cette étude montre aussi que le numérique a entraîné une déperdition de valeur. C’est donc à cela qu’il faut réagir.
Dans les prochaines semaines, comment allez-vous concilier la campagne des municipales avec la vie ministérielle ?
Mars sera d’abord un mois important pour le livre et de la lecture, avec de nombreuses manifestations (le Salon du livre, bien sûr, mais aussi la Semaine de la langue française, Le Printemps des poètes, Dis-moi dix mots, la Semaine de la presse et des médias dans l’école…) Et j’ai toujours dit que la campagne municipale n’entraverait pas le travail ministériel.
(1) Direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes.