16 JANVIER - RÉCIT DE VOYAGE France

Jean-Luc Coatalem- Photo BERTINI/GRASSET

De nos jours, le boulot d'écrivain-voyageur n'est pas toujours de tout repos. Les tropiques sont tristes, les terres vierges polluées, la banquise fond à toute allure et on ne sait plus guère où aller pour trouver de l'inédit à raconter à un public exigeant, friand de sensations fortes. Alors, Jean-Luc Coatalem a eu une idée farfelue et téméraire : pourquoi ne pas partir pour le pays le plus fermé, le plus opaque, le plus inhospitalier de la planète, belliqueux de surcroît, la Corée du Nord ?

Sitôt dit, sitôt fait, notre moderne Rouletabille, déguisé en prospecteur pour des agences de voyages occidentales, est parti au printemps 2011 visiter le paradis du socialisme asiatique, qui vivait encore sous la houlette du "Grand leader" Kim Jong-Il, un vieux débauché qui devait mourir quelques mois après, remettant son pays entre les mains boudinées de son fils cadet, Kim Jong-un, le "Jeune Général". A Pyongyang, "la capitale des saules", les tyrans, modernes Ubu rois qui eussent stupéfié Alfred Jarry lui-même, se succèdent de père en fils.

Dans ses bagages, Coatalem n'a pas emporté Jarry, mais Melville, dont il savoure Mardi, afin de se remonter le moral quand la nourriture est particulièrement infecte et insuffisante, les visites pathétiques, l'angoisse par trop taraudante dans ce désert inhumain dont les habitants ressemblent à des zombies décérébrés par soixante ans de communisme dur. Ce n'est pas demain que notre ami entonnera : "Vingt-quatre millions de Nord-Coréens, et moi, et moi, et moi".

Mais, dans ses épreuves, Coatalem disposait quand même d'un sérieux atout : son compagnon de voyage, qu'il désigne sous le nom de Clorinde (puis Clor), et en qui, à la faveur d'un portrait pastiché des Caractères de La Bruyère, le familier du Tout-Paris littéraire reconnaîtra sans peine Dominique Gaultier, patron du Dilettante et découvreur de Coatalem, qu'il a publié dès 1988 (Zone tropicale). C'est d'ailleurs au Dilettante qu'est paru en 2012 son roman Le gouverneur d'Antipodia (voir LH 886, p. 53), qui a obtenu le prix Roger-Nimier. Clorinde, qui déteste voyager, s'est embarqué dans l'aventure par goût du défi et par amitié. Mais sans abandonner son quant-à-soi. Son dandysme vestimentaire indescriptible, son snobisme ricanant, et ses volumes de la "Pléiade". En Corée, il relit Renard, Valéry et Larbaud... Et il parvient même à impressionner par son flegme à toute épreuve, par sa prestance, leurs guides-barbouzes qui lui portent ses sacs et lui donnent du "Monsieur" !

De Pyongyang au 38e parallèle, la frontière avec le frère ennemi du Sud qui évoque irrésistiblement les relations syldavo-bordures dans Tintin, mais en pire, d'hôtels thermaux en musts archéologiques impossibles à visiter, de dîners frugaux en longs moments de solitude paranoïaque, Coatalem nous entraîne dans un road-trip réjouissant, incroyable mais vrai. Un remake de 1984 et de Fahrenheit 451, réalisé par un Kim psychopathe, un savant fou qui peut déclencher une guerre avec ses fusées, tandis que son peuple opprimé meurt de faim, de misère et de consomption, totalement coupé du monde réel

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