Le héros du nouveau roman de Sándor Márai est pris dans un étau complexe, un duel existentiel entre l’intelligence et la foi. Or, a priori, son époque et sa position ne lui laissent guère le choix. C’est avec joie et effroi que ce jeune carme espagnol perçoit Rome en 1598. L’Inquisition veut asseoir sa domination en éradiquant les hérétiques. Elle recourt à la torture pour les faire fléchir, mais certains résistent jusqu’au bûcher. "Un seul homme est capable de contaminer tous les hommes sains." L’air de rien, un prisonnier distille le doute, tant redouté, dans la tête du narrateur, qui nous offre une confession sans concession. "Les livres sont des armes puissantes ! Ils sont susceptibles de provoquer la terrifiante possibilité d’une réflexion indépendante." Ce sont eux qui éveillent cet homme à un autre monde.
On ne peut qu’y voir la signature de Sándor Márai. Né en 1900 en Hongrie, il traverse le XXe siècle en s’opposant au fascisme. Alors que son pays a longuement rejeté cet exilé qui finit par se suicider, il est aujourd’hui son représentant le plus lu en France. Habituellement, Márai résonne comme un murmure de la Mitteleuropa et des âmes en peine. Il est souvent comparé à Zweig pour cette capacité à refléter la décomposition d’un univers, à travers un regard intime.
Ce roman-ci n’est pas représentatif de son œuvre, mais il ravive avec perfection la cruauté de l’Inquisition. Visiblement inspiré par les peintres italiens, sa plume dépeint une atmosphère étouffante, où règne le dogme, la violence, la peur et la pensée unique. Avant-gardiste, il résonne avec les dangers extrémistes de notre ère et 2084, la fin du monde de Boualem Sansal. Un cri alarmant quant à l’idéologie totalitaire, encourageant la liberté de l’écrivain et le questionnement permanent. Kerenn Elkaïm