Isabelle Minière aime entrer dans la tête d’antihéros, de personnalités un peu lunaires qui évoluent dans un monde et un temps légèrement parallèles. Le garçon de Je suis très sensible était un modèle d’innocent heureux. Martin, le narrateur d’On n’est jamais à l’abri d’une bonne surprise, le deuxième roman que l’écrivaine publie chez Serge Safran éditeur, est un homme triste, doux, un peu désuet. Pas dépressif mais calmement triste, car seul, sans amour ni amis. Cet homme vieillissant et plein de modestes routines ne veut pourtant pas se résigner à la solitude et cherche à sortir de son isolement. Comptable à domicile après avoir été licencié, quitté par une femme mariée qui ne l’a pas choisi, il observe la vie des gens par la fenêtre de son petit appartement. "La vie est ailleurs, et je suis spectateur", constate-t-il sans amertume, ni ressentiment - l’un des signes distinctifs des personnages qui traversent les histoires d’Isabelle Minière. Et il rêve, dort pour pouvoir rêver car "dormir, c’est la meilleure façon de se consoler de penser". Ses rêves ont la forme de ses manques (sa mère morte revient lui reprocher d’avoir raté sa vie) et de ses désirs. Il y croise des amis imaginaires : la grand-mère d’une jeune psychothérapeute qui lui a confié ses comptes, l’actrice d’un film marquant intitulé Rien, un double baptisé "pauvre Martin" qui l’encourage à ne pas seulement "savoir attendre" mais à aussi "savoir agir".
"Trop rêver, c’est se faire du mal quand on se réveille. Ne pas rêver assez, c’est se faire croire que rien de beau n’est possible", pense le patient Martin sur le chemin de la bonne surprise qui viendra, peut-être. Ni fataliste, ni béatement optimiste, ce roman qui loue la force des pensées positives souligne l’art d’écrire sur les "petits riens de tous les jours" de la délicate écrivaine. V. R.