Le dernier romantique. Truffaut, Godard, Chabrol, Rohmer, Melville... tout ce que le cinéma français d'après-guerre, et singulièrement la Nouvelle Vague, compte de plus essentiel a été raconté par le détail et avec une justesse incomparable par l'historien, journaliste et essayiste Antoine de Baecque. C'est toute une génération de « ciné-fils », une aventure artistique de la marge, qu'il a patiemment explorée, recontextualisée, sans en omettre ni ses zones d'ombre, ni ses soldats tombés au champ d'honneur de l'amour fou du 7e art. Il manquait pourtant à cette collection d'enfants géniaux, tyranniques et parfois ombrageux, un nom, peut-être le dernier d'entre eux, le dernier romantique, celui de Marin Karmitz.
Voilà qui est fait avec cette époustouflante biographie, à la fois empathique et touffue (mais jamais confuse) à laquelle le principal intéressé, pourtant plutôt avare en général de confidences, a accordé son soutien amical, ouvrant notamment son vaste fonds d'archives. Le livre dessine avant tout une trajectoire dans le siècle. Celle d'un enfant gâté de la grande bourgeoisie juive de Roumanie qui eut comme malchance de naître au mauvais moment, en 1938. La sinistre Garde de fer, les pogroms, le bruit des bottes et du canon, jettent l'enfant sur les routes de l'exil. Ce sera la France, Nice d'abord et puis Paris. Le jeune Marin, bientôt en rupture de ban, est de la race des intranquilles. Comme tant d'autres de sa génération, il trouvera refuge chez Marx et Mao et aussi, ce qui n'a rien de contradictoire, dans les salles obscures. L'aventure du gauchisme, dont il est un acteur essentiel, sera aussi pour lui celle du cinéma. Il y laissera ses illusions, sa santé, son argent et même, blessure qui ne se refermera jamais totalement, ses ambitions de cinéaste. C'est à ce moment-là, pour symboliser ce qui lui apparaît être alors le deuxième acte de son existence, qu'il fondera MK2. Une success-story à nulle autre pareille sans doute, née de la marge et qui ne s'en éloignera jamais tout à fait, qui comprend le cinéma comme un système global, de l'exploitation à la production en passant par la distribution. S'inspirant de Jérôme Lindon et de son ami François Maspero, il se définit comme un « éditeur de films ». La politique oui, encore et toujours, mais celle des auteurs.
Marin Karmitz. Une autre histoire du cinéma
Flammarion
Tirage: NC
Prix: 24 € ; 368 p.
ISBN: 9782080432810