C'est l'histoire d'un homme qui arrive et d'un autre qui s'en va, qui n'a jamais su faire que ça, d'une femme qui attend l'un et va découvrir espérer l'autre. Une histoire de paysages aussi, de traversées du temps et d'un pays. Une histoire de nuages qui filent haut dans le ciel et que les souvenirs ne parviennent pas à rattraper. Une histoire d'amitié, d'amour, de famille, de désirs.
C'est donc d'abord l'histoire de Sacha. Dans la trentaine, écrivain, il quitte Paris où rien ne le retient vraiment pour s'installer dans le sud-est dans la petite ville de V. où il ne connaît personne (si ce n'est, vaguement, un cousin) et où il espère trouver un calme propice à la poursuite de ses activités littéraires. Là (ou las), le hasard le fait retomber sur le grand ami de sa jeunesse, perdu volontairement de vue depuis près de vingt ans, un homme qu'il ne nommera jamais autrement que « l'autostoppeur », puisque telle était, tout le temps que dura leur amitié (fervente, fusionnelle et finalement, croit-on deviner, assez toxique), son unique occupation : sillonner les routes sans but réel si ce n'est de partager des moments de vie avec des inconnus entre deux villes, villages, montagnes, plages ou stations-service... Sacha retrouve l'autostoppeur tel qu'en lui-même, l'absence ne l'a pas changé. Certes, il est marié désormais, avec Marie, traductrice de l'italien (et notamment de son auteur fétiche, Marco Lodoli). Il a un petit garçon de 8 ou 9 ans, Agustín, une vie douce et chaleureuse, mais cette même mystérieuse nécessité intérieure qui le consume et le « nourrit » en même temps, le pousse à près de 40 ans à toujours s'en aller, courir les routes, aller voir ailleurs s'il y est et au besoin, s'y attendre... Sacha va renouer le fil de cette amitié perdue, mais aussi insidieusement, naturellement pourtant, pénétrer dans l'intimité de ce foyer, pourvoyant aux absences de son ami, s'occupant de l'enfant et tissant peu à peu des liens avec Marie qui sont ceux à la fois du désir et d'une attente commune.
Que l'on ne s'y trompe pas, Par les routes, le nouveau roman de Sylvain Prudhomme, n'est pas une histoire banale de triangle amoureux ; ou alors exhaussé dans l'ordre de la dissipation. Si l'on sait, depuis au moins Les grands ou l'admirable Légende (Gallimard, 2014 et 2016), le puissant romancier qu'il est, le styliste aussi (jusque dans l'absence de tout effet de style ostentatoire), ce livre vient avec éclat et une infinie délicatesse le confirmer. Bien sûr, c'est un roman d'amour (et même un roman d'amours, celui que se portent les personnages avec une grâce qui n'appartient qu'à eux). On y regarde les hommes partir, revenir, une femme à sa fenêtre, les plaisirs et les jours, les saisons. On pense parfois à la légèreté endeuillée du Patrick Lapeyre de La vie est brève et le désir sans fin.
C'est aussi la captation d'un moment, d'un ici et maintenant. Celui de ce vieux pays « de clochers, de maisons sages » que parcourt sans trêve l'auto-stoppeur. Celui de ceux qui l'habitent et le traversent. De loin en loin. Oui, il est ici question du temps suspendu de la province, d'aménagement du territoire, d'un aménagement du territoire amoureux également. Il est question de comment vivre encore et pourquoi, et de comment s'absenter y compris de soi. De promesses silencieuses, de trahisons généreuses et du bien que font les livres à nos vies. Tout doit disparaître, se dissoudre à l'horizon puisque, toujours, tout est à recommencer.
Par les routes
Gallimard
Tirage: NC
Prix: 19 euros ; 304 p.
ISBN: 9782072740381