Nous sommes en 1937. De sombres nuages, bruns et noirs, s’accumulent sur l’Europe. L’Italie et le Portugal sont fascistes, l’Espagne en guerre civile, l’Allemagne et l’Autriche sous la botte des nazis. A Paris, on danse encore sur un volcan, à Montparnasse surtout, haut lieu de la bohème. Parmi les figures qui comptent, de jeunes créateurs encore en devenir, comme les frères Giacometti, le fantasque Alberto, qui commence à séduire quelques amateurs, et Diego, timide, "coincé §", qui veille sur lui et l’assiste. Ou le couple Jean-Paul Sartre et Simone de Beauvoir, avec ses satellites, comme Olga.
Jean-Paul et Alberto sont amis. Mais un jour, l’artiste ayant été renversé par une Américaine au volant d’une américaine, assez sérieusement blessé et transporté à l’hôpital, l’écrivain ne peut s’empêcher de faire un "bon" mot, une vacherie plutôt, qui va faire le tour de Paris et revenir aux oreilles de Giacometti: "Pour une fois qu’il lui arrive ENFIN quelque chose !" Lequel, assez sanguin, s’est juré, dès sa sortie, de retrouver Sartre et de lui casser la gueule, dût-il crapahuter à travers tout Montparnasse avec ses béquilles. S’ensuivront un certain nombre d’épisodes cocasses, rencontres, dialogues, embrouilles, intrigues adventices, jusqu’au réveillon du Nouvel An, chez le galeriste Baptiste Medrano, rue Récamier, une fête masquée où le tout-Paris rive gauche est convié, et où la vengeance de Giacometti s’accomplira de façon burlesque et inattendue.
Suivant un fil rouge aussi ténu, Jérôme Attal a composé un thriller décalé, où l’on suit en parallèle les deux héros qui se retrouveront, prétexte à dépeindre une époque passionnante, créative, libertaire, qui vivait ses derniers moments d’insouciance, du moins certains. Tandis que Gide était revenu d’URSS avec ses brûlots anti-staliniens, que Malraux combattait en Espagne pour sauver la République contre Franco, Sartre ne pensait qu’à une chose: la parution de son premier roman, à la NRF. C’est Gaston Gallimard en personne qui aurait trouvé le titre: La nausée. A un moment, dans 37, étoiles filantes, à propos d’Hitler, l’écrivain déclare: "Tout est en carton-pâte chez lui." N’est pas visionnaire qui veut. En politique, Sartre s’est tout le temps trompé. Vive Giacometti. J.-C. P.