Les tribulations de Fanon. « Chacun appelle barbarie ce qui n'est pas de son usage », écrit Montaigne dans son essai Des cannibales. Le sauvage, c'est l'autre. L'Europe, berceau de la philosophie, creuset de l'humanisme puis des Lumières, n'ayant jamais douté d'être un phare pour le reste du monde, n'a pas hésité à coloniser le globe et à subjuguer des peuples « indigènes » au nom de sa « mission civilisatrice ».
Né en 1925 en Martinique au sein de la bourgeoisie métissée issue de descendants d'esclaves, Frantz Fanon biberonne depuis l'enfance à l'histoire de France dont les manuels enseignent la geste de « nos ancêtres, les Gaulois ». Dans Frantz Fanon. Une vie en révolutions, le journaliste américain Adam Shatz retrace l'itinéraire de l'auteur des Damnés de la terre. Et brosse un portrait tout en complexités psychologiques de cette icône révolutionnaire qui revendiqua la violence comme nécessaire moyen de l'émancipation des opprimés. Imbu des idéaux de liberté, le jeune Antillais à l'esprit aussi brillant que fougueux s'engage dans les Forces françaises libres. C'est dans les rangs de ces forces antifascistes, et au Maghreb où il est stationné, qu'il se rend compte d'odieuses discriminations entre Français et Sénégalais et de la brutalité du système colonial en totale contradiction avec la devise de la République française qu'on lui avait naguère inculquée... À la fin de la guerre, il étudie la médecine à Lyon et se spécialise en psychiatrie. Là encore, il atteste le racisme de ses compatriotes de la métropole. Passionné par cette nouvelle philosophie dont le chef de file est Jean-Paul Sartre, il signe un premier essai, Peau noire, masques blancs, où il dénonce l'intériorisation de cette violence européocentriste par des Noirs qui endossent les clichés racistes des Occidentaux et n'assument pas leur négritude. Son grand œuvre, Les damnés de la terre (1961), ce classique de l'anticolonialisme, sera préfacé par le philosophe existentialiste tant admiré : « Le tiers monde se découvre et se parle par cette voix. » Embrassant corps et âme le combat pour l'indépendance algérienne, jusqu'à devenir une manière d'« ambassadeur itinérant du FLN », voilà Fanon à Alger, à Tunis, faisant le tour des pays subsahariens... Le psychiatre révolutionnaire (progressiste également dans ce domaine, il appliquait des méthodes radicales avec le même but de désaliéner) succombera à l'âge de 36 ans à une leucémie foudroyante, ironie du sort, dans un hôpital militaire américain, au « pays des lyncheurs ».
Frantz Fanon. Une vie en révolutions
La Découverte
Tirage: 4 000 ex.
Prix: 28 € ; 504 p.
ISBN: 9782348079641