"Tu te rends compte que cela va faire trente-cinq ans de tout entre nous", lance joyeusement Françoise Nyssen à Jean-Paul Capitani. En ce 9 mai, à la terrasse d’un café parisien, l’éditrice, qui n’était pas encore ministre de la Culture et n’avait pas encore quitté ses fonctions de présidente d’Actes Sud, et son mari, s’emploient à retracer leur histoire, "si intimement imbriquée" dans celle de la maison d’édition.
"Tout est parti d’une rencontre romanesque", commence Françoise Nyssen. Un beau jour de 1982, alors qu’elle avait rejoint son père et sa compagne pour lancer l’aventure d’Actes Sud, "Jean-Paul vient frapper à la porte de la grange du Paradou où la maison était installée". A l’époque, ce dernier venait de monter au Méjan (Arles) un cinéma d’art et essai et cherchait à développer une librairie. "Je ne trouvais personne qui me corresponde, jusqu’à Françoise", dit-il en souriant. "On ne s’était jamais vus, mais une amie commune m’avait dit quelques mois auparavant qu’il était fait pour moi : alors quand il se présente et me parle de son projet de librairie, moi qui rêvais d’en monter une depuis mon enfance, ça a fait tilt", se souvient-elle. L’ingénieur agronome de formation et l’éditrice passée par les luttes urbaines partagent le goût de l’engagement citoyen, et c’est "tout naturellement" que Jean-Paul Capitani rejoint Actes Sud.
Au sein de cette structure qu’Hubert Nyssen avait pensée comme une coopérative, "il n’ y avait pas de patron, de hiérarchie, on travaillait tous ensemble selon nos compétences", détaille l’éditeur qui s’est occupé autant de la direction commerciale que des travaux de la maison. Cette notion de coopération a continué de prévaloir quand la société a grossi. "Lorsqu’on dit qu’on est une maison familiale, ce n’est pas seulement parce que nous y travaillons avec nos filles : on traite nos collaborateurs comme on se traite nous-même, avec affection", précise Françoise Nyssen avant de rappeler que la maison est gérée avec Bertrand Py.
Complémentaire, "en débat perpétuel", complice, mais "pas béni-oui-oui", le couple, qui a essaimé son engagement bien au-delà de l’édition, a toujours cherché à décloisonner vie privée et vie professionnelle, à tel point que leur équilibre tient dans ce "méli-mélo d’amour, d’édition, de création, d’amitié et d’engagement" qu’ils aiment tant.