Trois essais sur la théorie sexuelle
Gallimard
Voici un livre qui fit scandale au début de ce siècle. On le jugea obscène, on cessa de saluer son auteur dans la rue. Que contenait-il donc de scandaleux ? Rien, en un sens, qu'on ne sût déjà, surtout à Vienne : que la pulsion sexuelle s'attend pas la puberté pour se manifester, que l'amour prend mille formes, que la sexualité n'a pas pour fin l'union et la procréation. Seulement, de tous ces faits connus, les Trois essais tiraient les conséquences, avec la sécheresse de style d'un précis, et d'abord celle-ci ; la sexualité humaine est par essence aberrante. Que reste-t-il aujourd'hui du scandale ? Apparemment les idées avancées ici par Freud sont devenues des idées reçues. La sexualité, serinent nos journaux, n'est plus refoulée mais libérée. Et nos docteurs du sexe prêchent : elle est obligatoire. Qu'on veuille bien pourtant lire les Trois essais comme pour la première fois - et cette traduction qui leur donne tout leur relief en fournit l'occasion - et l'on découvrira que ce petit livre, que Freud n'a cessé d'enrichir au cours de ses éditions successives, reste celui qui nous conduit au plus près de l'énigme, effectivement scandaleuse, d'une vie de l'esprit parcourue de part en part par une libido assez divagante pour prendre aussi bien pour objet la science qu'un fétiche. Entre les «théories sexuelles» que construit secrètement l'enfant-chercheur et la théorie scientifique qu'exposent au grand jour les Trois essais, la différence tient dans les réponses données, non dans l'énigme, d'autant plus difficile à penser qu'elle est au cœur de toute pensée.