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Voyage au coeur du Passeur

Ingrid Lafon et Martin Peix. - Photo OLIVIER DION

Voyage au coeur du Passeur

Aboutissement d'un travail acharné, de rencontres, d'attentes, de démarches administratives en tous genres et de course contre la montre, que Livres Hebdo suit depuis janvier 2012, la librairie de Martin Peix et d'Ingrid Lafon a ouvert ses portes juste avant Noël. Retour sur une année d'aventures et visite guidée du Passeur.

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Par Cécile Charonnat
Créé le 05.04.2014 à 03h31 ,
Mis à jour le 07.04.2014 à 18h14

Il leur aura fallu quasiment un an et demi. Entre les premières démarches et l'ouverture de leur librairie, le 21 décembre, 18 mois se sont écoulés. Mais pour Martin Peix et Ingrid Lafon, qui cumulent à eux deux plus de 15 ans d'expérience en librairie, "finalement, c'est passé assez vite. Avec le recul, nous avons le sentiment que tout s'est enchaîné naturellement, dans le bon ordre, pour en arriver là". Et à écouter les clients qui se succèdent au Passeur, installé dans le quartier Bordeaux-Bastide, sur la rive droite de la Garonne, ce jeudi après-midi de janvier, trois semaines après l'ouverture, le couple semble avoir effectivement réussi son pari. "C'est une bonne idée d'avoir ouvert une librairie ici. Il manque vraiment des commerces comme cela dans le quartier. Je viendrai chez vous dorénavant", lance ainsi une jeune fille avant de quitter la boutique.

Plus petit que celui envisagé dans le projet initial, le local offre un atout non négligeable : 6 mètres de vitrine.- Photo OLIVIER DION

Des commentaires de ce genre, le couple en recueille "au moins une fois par jour". Mais, outre la satisfaction personnelle que ces propos leur apportent, ils y voient surtout la justification de la pertinence de leur projet. "On se doutait qu'il y avait une place à prendre dans ce quartier, mais pas à ce point-là. L'accueil est excellent, au-delà de nos espérances", se félicite Martin Peix.

Lorsque nous vous les avions présentés pour la première fois dans nos colonnes, en janvier 2012, les deux trentenaires façonnaient depuis quelques mois leur projet de création de librairie et cherchaient un endroit où s'installer, dans le sud de la France. Plutôt orientés sur une petite ville ou un gros village, dans le but de "contribuer à son développement et à son rayonnement culturel", ils sollicitaient alors divers professionnels du livre. C'est Audrey Rupp, déléguée de l'association régionale Librairies Atlantiques, qui les a mis sur la piste du quartier Bordeaux-Bastide. "Elle y croyait dur comme fer », se souvient Martin Peix. Pourtant, la première réaction du couple est circonspecte : plusieurs projets dans ce quartier n'ont pas abouti et la zone d'implantation est fortement réduite. "Mais de fil en aiguille, au gré des rencontres et avec l'étude de marché, nous nous sommes rendu compte que c'était une place de premier choix", résume Ingrid Lafon.

Rideaux, tapis, table, chaque détail a été pensé pour inviter à se sentir comme à la maison.- Photo OLIVIER DION

L'envie de travailer ensemble. Côté chiffres, les trois premières semaines d'activité confirment la décision. Sans être réellement significatifs - la période est trop courte -, ils demeurent encourageants. "La solidarité est palpable. Les gens sont très attachés à cette rive, ils favorisent la proximité. C'est justement ce que nous cherchions et c'est comme cela que nous voyions notre boutique", soutient Ingrid Lafon. Née de l'envie de travailler ensemble, rêvée depuis trois à quatre ans, conceptualisée fin 2011, la librairie des deux entrepreneurs, généraliste mais à forte dominante fictionnelle, se veut en effet "un projet de vie" qui allie valeurs personnelles et professionnelles, un "concept qui doit apporter plus" qu'une boutique traditionnelle. "Le métier évolue, il s'agit donc de réinventer la librairie, écrivent-ils dans leur dossier de création d'entreprise, bouclé en avril 2012.[Notre projet tient] en une phrase : une offre riche, pertinente et de qualité, valorisée et mise en scène dans un espace commercial différent, original et cohérent, empreint de professionnalisme et des valeurs fondamentales de l'entreprise. [...] Nous souhaitons littéralement inviter nos clients à entrer et à passer un moment en notre compagnie, comme l'on peut convier des proches chez soi, dans sa maison. »

Dessiné par le frère de Martin Peix, le logo du Passeur se décline sur les mugs du salon de thé.- Photo OLIVIER DION

Au premier coup d'oeil, Le Passeur ne diffère pourtant pas de bon nombre d'enseignes. Certes aérée, lumineuse, spacieuse et conviviale, la librairie présente un visage classique dans son aménagement : l'entrée se fait sur la plus forte dominante, la littérature adulte. Sobre et élégant sans être intimidant, l'espace laisse une bonne visibilité sur toute la profondeur du magasin où se trouvent les deux autres dominantes, la BD et la littérature ados-jeunes adultes, qui accueille aussi des jeux dits "d'apéro", jeux de cartes ou d'ambiance aux règles simples. A gauche de l'entrée et à côté de la caisse se trouve le coin salon de thé, en face duquel sont installés le régionalisme et, en arrière-plan, les documents. Le Passeur ne comporte pas de jeunesse, afin de travailler en "concurrence intelligente" avec Le Petit Chaperon rouge, librairie spécialisée pour les enfants installée depuis cinq ans dans le quartier. L'impression de "chez soi" réside en fait dans de multiples détails : des rideaux installés aux fenêtres, des plantes vertes, des tapis au sol, une table de monastère et ses chaises pour présenter les livres en littérature, des poufs et une banquette pour le salon de thé, un coffre faisant office de second coin où l'on peut prendre une boisson, et qui fait dire aux clients qu'ils se sentent "comme à la maison".

Créer une relation de confiance. "On se rapproche beaucoup de l'idée de départ que l'on avait en tête, tant au niveau de l'ambiance que de l'assortiment", confirme Martin Peix. La composition de l'offre, effectuée en un temps record, moins d'un mois et demi, pour pouvoir ouvrir avant Noël, répond aussi à une préoccupation "sociale", présente dès le départ et qui va de pair avec la notion de "chez soi ». "Nous souhaitons accompagner nos clients dans leurs lectures, sans les juger ou être élitistes, et créer ainsi une relation de confiance avec eux", martèle Martin Peix. Sans renoncer à leurs choix et à leurs goûts, les deux libraires ont notamment introduit du pratique, absent du projet de départ, "un incontournable pour capter la clientèle et générer du chiffre", et réfléchissent activement à l'implantation du manga. "Mais au vu des premières demandes, nous avons tapé assez juste pour le moment", constatent les deux trentenaires.

Aux dires du couple, ce résultat n'aurait pu être atteint sans l'accompagnement dont ils ont bénéficié tout au long de leurs démarches. "Si nous avons avancé aussi vite et aussi harmonieusement, c'est que nous avons été très épaulés", souligne Martin Peix. Par l'entourage proche - le père de Martin, Thierry Peix, est un fin connaisseur des arcanes économiques locales, et son frère, graphiste, a imaginé et réalisé le logo et la signalétique -, mais aussi par des professionnels du livre tels Stéphane Daumay, ancien directeur de magasins Cultura et désormais éditeur, qui leur a mis le pied à l'étrier, Michel Ollendorff, consultant en librairie, qui a supervisé le volet financier, ou nombre de contacts chez les diffuseurs qui leur ont permis de "prendre des raccourcis non négligeables" lorsqu'il s'est agi d'ouvrir les comptes. Si les deux libraires, beaux joueurs, reconnaissent également la part de chance qui les a accompagnés, ils ne cachent pas la somme de travail engagée. "Créer sa librairie équivaut à cinq ans de terrain comme libraire salarié, prévient Martin Peix. Comme nous avons tout fait de nos mains, nous avons appris énormément de choses. Quand on se lance, on ne se doute pas que l'on va rencontrer autant de facteurs inconnus. Nous avons parfois eu le sentiment de nous retrouver devant des montagnes infranchissables, comme l'élaboration des tableaux financiers ou les commandes d'implantation. Mais finalement, une fois lancés, nous avons réussi l'escalade." Pour Jean-Marc Robert, leur interlocuteur à l'agence régionale du livre (Ecla), "les suivre est très agréable, parce qu'ils savent où ils vont". Et passée l'effervescence de l'ouverture, le couple planche déjà sur les prochains cols à gravir : améliorer les vitrines, intégrer une offre complémentaire de cartes postales, développer les jeux, travailler la communication et les animations, pour "toucher un nombre maximum de gens du quartier", et concevoir un site marchand proposant le retrait en magasin et, à terme, du numérique.

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