"Avec ma machine, je vous fais sauter la tête en un clin d'oeil et vous ne sentirez rien", aurait paraît-il assuré le bon docteur Guillotin pour défendre le procédé de décollation qu'il souhaitait voir instituer comme unique châtiment ultime. Ne rien sentir, vraiment ? La question, en réalité, n'a jamais été totalement tranchée, si l'on ose dire. Et la somme thanatologique qu'Anne Carol consacre à l'"abbaye de Monte-à-Regret" montre que l'interrogation a persisté quasiment jusqu'au renvoi de la guillotine au musée.
Invention de la Révolution française, la guillotine représentait un progrès humaniste et social. Sous l'Ancien Régime, en effet, l'exécution des condamnés à mort revêtait différentes formes, toutes plus cruelles les unes que les autres - et dont le premier chapitre de cet ouvrage nous donne des descriptions terrifiantes : l'auteure, spécialisée dans l'histoire sociale et culturelle de la médecine et des médecins, manie la plume comme un scalpel. Parfois, le supplice s'éternisait à dessein, comme dans le cas des régicides. D'autres fois, la torture, involontaire, venait de ce que le bourreau ratait son coup. En outre, ces supplices divergeaient selon le statut social du condamné : la société était inégalitaire jusque dans sa façon de donner la mort. A partir du XVIIIe siècle, cependant, les mentalités changent. A défaut de pouvoir imposer l'abolition de la peine de mort, les Lumières militent contre sa barbarie. Et c'est la Révolution qui va les exaucer.
La guillotine est égalitaire : la mort, quand elle est décrétée, est la même pour tous. La guillotine est une machine : la mécanisation, alors en plein essor, s'impose comme un moyen sûr de parer aux défaillances du bourreau. Une machine ne saurait se tromper, c'est bien connu. Sauf que ses débuts seront marqués par un certain nombre de ratés (des bugs, dirait-on aujourd'hui). La guillotine, enfin, est "médicale". Joseph-Ignace Guillotin, qui l'imposa, était médecin. Antoine Louis, qui la perfectionna, était chirurgien. L'apparition de "la veuve" marque donc tout à la fois l'implication des médecins dans la mort pénale (qui ne va plus cesser) en même temps qu'elle consacre la médicalisation de la mort : "Faire l'histoire de la guillotine, c'est aussi faire l'histoire de la façon dont la mort est scrutée, définie et normée par la médecine", souligne à juste titre Anne Carol. Et c'est là que tout se complique - et devient passionnant.
Le 25 avril 1792, les spectateurs de la première décollation à la guillotine (on avait exécuté, ce jour-là, un bandit de grand chemin) repartirent très déçus : ils n'étaient pas habitués à autant de rapidité. "La décapitation mécanique est victime de l'ambition de ses pères, résume Anne Carol : comment concevoir qu'une tête séparée si rapidement du corps soit aussitôt inanimée et inconsciente ?" La guillotine était supposée fournir "une mort prompte et douce ». Cependant, rien n'est moins certain. La question ne va pas seulement enflammer le corps médical, elle inspirera la littérature romantique et gothique, et donnera du grain à moudre aux abolitionnistes. La tête, séparée du corps, garde-t-elle sa conscience et si oui, combien de temps ? Si le débat fut surtout très vif tout au long du XIXe siècle, Anne Carol nous apprend que jusque dans les années 1950, des médecins se plaçaient encore sous l'échafaud pour recueillir les têtes des condamnés et se livrer à diverses expériences. La guillotine ne fonctionne plus (elle a servi pour la dernière fois en 1977), mais le mystère demeure intact.